Afrique – Chine : Les investissements chinois plus surveillés

La Côte d’Ivoire ouvre la marche. En créant un comité dédié au suivi des financements en provenance de Chine, le pays matérialise une inquiétude qui s’étend peu à peu sur le continent.

La Côte d’Ivoire, prête à scruter les financements chinois. Le pays vient en effet de décider la création d’un comité dédié, situé à Abidjan. Sa mission : « assurer la supervision, la coordination et le suivi du portefeuille de projets financés ou cofinancés par la République populaire de Chine, de façon à améliorer et à accroître le taux d’absorption des financements disponibles ». L’information a été transmise par Sidi Tiémoko Touré, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement. Au total, ce sont près de six milliards d’investissements répartis en accords bilatéraux, dont 14 projets de développement, qui devraient être supervisés.

Une surveillance plus accrue des investissements donc, qui traduit une vigilance africaine de plus en plus accrue vis-à-vis de la Chine. Elle est portée par plusieurs facteurs, par exemple, « l’insatisfaction engendrée par des projets chinois d’infrastructures ratés, comme celui des autoroutes en Tanzanie, qui a semé le doute sur les motivations de Pékin à investir en Afrique », explique Jean-Joseph Boillot, spécialiste des relations du trio Afrique-Chine-Inde. Autre source de préoccupation : l’attribution de marchés aux entreprises chinoises en échange de l’exploitation de ressources locales. Un processus, surnommé « le financement angolais », par lequel des projets d’infrastructures se trouvent liés à l’octroi de concessions pétrolières notamment.

Le poids de la dette
Mais c’est surtout le surendettement des États africains auprès de la Chine qui inquiète le plus. L’Angola, l’Éthiopie et le Kenya représentent ainsi à eux seuls 47 % de la dette du continent envers l’empire du Milieu, d’après un rapport de l’agence Moody’s. Rattachée à la population, la dette inclut ainsi que chacun des 28 millions d’Angolais doit 745 dollars à Pékin. Selon l’Initiative de recherche Chine-Afrique (CARI), un centre de recherche dépendant de l’université américaine Johns-Hopkins, Pékin a donc déversé 94,4 milliards de dollars de prêts en Afrique entre 2000 et 2015, dont une grande partie en Afrique de l’Est.

Pour éponger ces emprunts, les États consacrent environ 8 % de leurs revenus au remboursement. « À partir de 2015-2016, on a commencé à s’interroger sur le bien-fondé de ces financements chinois en Afrique, affirme Jean-Joseph Boillot. Et surtout, on commence à se renseigner sur des pratiques de négociations qui ferment la voie à toute transparence et à toute concurrence. » D’où la création de comités tels que celui lancé en Côte d’Ivoire.

Chine-Afrique, une relation singulière

Des initiatives complexes, lorsqu’on sait que la Chine est le premier partenaire commercial du continent. La relation remonte à la fin des années 1990. « À cette époque, la Chine saisit au bond l’opportunité de faire affaire avec le continent. Le pays a besoin de matières premières pour faire perdurer sa croissance à deux chiffres, indique Jean-Joseph Boillot. L’Afrique importe alors massivement des produits “made in China” via, contrairement à ce que l’on pourrait penser, des prestataires africains. Ces échanges créent un mouvement commercial bien adapté au marché local africain ».

Autre aspect qui plaît aux Africains : la non-ingérence de ce bailleur de fonds émergent. Les dirigeants du continent apprécient l’absence, de la part de la Chine, de quelque intervention au sujet de la corruption ou des droits de l’homme, par exemple. Des caractéristiques qui distinguent la Chine de certains de ses homologues occidentaux. Une politique qui trouve racine dans les « cinq principes de la coexistence pacifique », présentés par le Premier ministre d’alors Zhou Enlai lors de la Conférence de Bandung en 1955. « Respect mutuel de l’intégrité territoriale et de la souveraineté, non-agression mutuelle, non-ingérence mutuelle, bénéfices mutuels, coexistence pacifique », tels sont les principes qui doivent être appliqués dans les échanges du pays avec l’étranger.

Et ils seront désormais scrutés par les agents ivoiriens et chinois du comité d’Abidjan. « Il faudra d’ailleurs vérifier que personne n’est juge et partie, ça ne sera pas simple », souligne le spécialiste. Une initiative qui, d’après lui, est âprement discutée en Éthiopie et au Kenya, les deux plus importants destinataires des prêts chinois. En dix ans, les deux nations d’Afrique de l’Est ont emprunté respectivement 13,73 et 9,8 milliards de dollars. Si, pour Jean-Joseph Boillot, « le mouvement va peu à peu s’installer dans plusieurs pays du continent » – la Sierra Leone a d’ailleurs annoncé la résiliation d’un contrat d’investissement de 300 millions d’euros entièrement financé avec la Chine –, il « faut bien garder en tête que la Chine a besoin de l’Afrique, et inversement. Il faut juste trouver le bon équilibre. »


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