L’échange est emblématique de la chorégraphie diplomatique qui se déploie depuis le 7 octobre, date des assauts du Hamas contre Israël. À la Chambre des communes, lundi, la députée néodémocrate Heather McPherson a interpellé la vice-première ministre, Chrystia Freeland, pour reprocher au gouvernement son silence sur les violations du droit international à Gaza, et pour exiger que le Canada demande un cessez-le-feu immédiat.
La réponse de la vice-première ministre, une déclaration lue à la virgule près, résumait l’ordre des priorités du Canada dans ce conflit. D’abord, l’énoncé de la valeur cardinale, inébranlable malgré deux semaines de bombardements féroces de Gaza : « Notre gouvernement est clair, nous soutenons l’État d’Israël et nous reconnaissons le droit d’Israël à se défendre en conformité avec le droit international. » Puis, une préoccupation secondaire : « Nous sommes très inquiets de la terrible situation humanitaire à Gaza. Le droit international doit être respecté et le Canada continuera de soutenir les populations civiles de Gaza. […] »
Dans la dernière semaine, les appels à respecter le droit international sont devenus une valeur refuge. Face à l’escalade affolante de la violence, aux images insoutenables des enfants, des femmes et des hommes piégés dans l’enclave de Gaza, face au sentiment de plus en plus difficile à réprimer qu’il existe une disproportion obscène dans la riposte, la société civile et les organisations humanitaires se tournent vers les normes censées encadrer l’horreur de la guerre, comme un instrument pour faire entendre une note dissonante dans la chorale chantant la légitimité d’une contre-offensive israélienne illimitée.
Ce n’est pas très original de le souligner, mais le droit international a la force contraignante que les acteurs politiques en présence daignent lui donner. Or, ici, le jeu des alliances semble avoir scellé le sort de Gaza. Dans les derniers jours, sur la scène diplomatique, les appels au respect du droit international humanitaire ont acquis une valeur incantatoire. La bonne conscience libérale se soulage en multipliant les appels à la légalité, mais ces appels sont toujours prospectifs, aveugles à ce qui est déjà en train de se produire, ici et maintenant, devant les caméras du monde entier.
Cette semaine, 800 universitaires en droit international, en étude des génocides et en étude des conflits signaient une déclaration dans laquelle ils sonnent l’alarme quant au risque de génocide à Gaza. « Nous ne lançons pas cet avertissement à la légère, écrivent-ils, nous reconnaissons le poids de ce crime, mais la gravité de la situation l’exige. »
Leur déclaration souligne que l’offensive militaire des derniers jours vient clarifier, et mettre en oeuvre de manière accélérée, une intention qui porte au-delà de l’autodéfense. Inscrivant la riposte israélienne aux plus récentes exactions (bien sûr criminelles) du Hamas dans l’histoire longue de la marginalisation, du déracinement et de l’enclavement du peuple palestinien par l’État d’Israël, les signataires disent redouter que le présent conflit serve de prétexte à la réalisation d’une « potentielle intention génocidaire ».
La démonstration est prudente et méticuleuse. Elle souligne, bien sûr, le caractère tout à fait illégal de l’embargo total imposé à Gaza, ainsi que de l’évacuation forcée d’un million de personnes vers le sud de l’enclave le 12 octobre, des bombardements effectués dans des zones densément habitées, de la prise de véhicules ambulanciers et de civils en déplacement pour cibles. Tout cela relève de l’évidente illégalité, au sens du droit international humanitaire. Mais plus encore, les signataires de la déclaration s’inquiètent des intentions génocidaires affichées dans le discours de l’État israélien depuis le 7 octobre.
La citation a fait le tour du monde. Annonçant la mise en place de l’embargo total contre Gaza le 9 octobre, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, déclarait que « nous combattons des animaux humains [human animals], et nous agissons en conséquence », avant de conclure : « Gaza ne sera plus jamais la même. Nous allons tout éliminer. » Cette figure de l’animal a été reprise le lendemain par le général Ghassan Alian, dans une déclaration visant tant les combattants du Hamas que les résidents de Gaza.
Il s’agit d’un exemple subtil, mais qui dit beaucoup. L’usage des mots, dans ce contexte, est loin d’être anodin. L’animalisation est un outil de choix dans l’arsenal génocidaire, car c’est en niant l’humanité des membres d’un groupe que l’on justifie son éradication. Ce n’est certainement pas neuf, mais c’est à la lumière de cela qu’il faut observer les bombardements incessants et l’asphyxie de la population piégée dans Gaza. Tout indique que la furie déclenchée par les attaques du Hamas sur Israël ne s’arrêtera pas avec la potentielle libération des otages israéliens.
La texture de ces propos semble pourtant échapper entièrement aux puissances occidentales, qui se contentent de multiplier les encouragements à la légalité et de promettre d’expédier quelques convois humanitaires. La situation est tragique, puisque la dénonciation des crimes de guerre, le rappel du droit sont, tout compte fait, les seuls outils dont disposent les organisations de la société civile et des citoyens pour appeler à faire cesser le massacre d’une population.
Il faut désormais insister pour que ces appels se traduisent en demandes politiques concrètes des États qui, aujourd’hui, ferment les yeux sur une catastrophe humanitaire : exiger un cessez-le-feu sur Gaza, et assurer un ravitaillement suffisant et immédiat des civils.
Chroniqueuse spécialisée dans les enjeux de justice environnementale, Aurélie Lanctôt est doctorante en droit à l’Université McGill.
LEDEVOIR / Provinces26rdc.com
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