Expert financier et bancaire international, Junior M’Buyi alerte sur « quand la RDC s’éveillera » et partage ses analyses sur un Congo qui a tout pour compter.
Quand le Congo s’éveillera… Voilà une idée qui trotte régulièrement dans l’esprit de Junior M’Buyi, fondateur de JPG Consulting Partners, un cabinet de conseil financier présent dans plus de dix pays. Et cela l’a certainement encouragé à signer un ouvrage aux allures de mode d’emploi : Une superpuissance en devenir : quand la RDC s’éveillera (éd. L’Aube). Il y fait d’abord un constat de la situation géopolitique et économique de l’Afrique et de la République démocratique du Congo (RDC), et distille après des pistes de solutions pour leur essor économique.
Cet opus est le récit de deux histoires qui s’entremêlent. Celle d’un pays, puissance historique déchue qui aspire à être un leader de l’Afrique de demain, de ses réussites, de ses blessures et de son potentiel. Mais aussi celle d’un homme, fils de réfugiés politiques à l’époque du Maréchal Mobutu, qui a grandi dans une cité française à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) et qui, après un parcours scolaire et académique exemplaire, est devenu expert financier et bancaire international.
Les deux histoires se rencontrent lorsque Junior M’Buyi revient en RDC. Il y découvre un pays abimé mais rempli d’espoirs et de richesses.
La première d’entre elles étant son peuple. L’expert en retire alors la volonté de s’engager pour le Congo, de mettre à profit son expérience, par exemple celle acquise auprès de pays comme le Maroc, notamment pour la sortie de la liste grise du GAFI (Groupe d’action financière). Junior M’Buyi garde en effet une conviction, qu’il couche sur le papier : « Ce n’est qu’en travaillant en faveur de plus de stabilité bancaire que nous pourrons améliorer le climat des affaires, mettre en place des bonnes pratiques, attirer de l’investissement étranger et créer des recettes pour l’État qui pourront être fléchées vers des secteurs stratégiques comme la santé, l’éducation et les infrastructures… »
Récemment invité au FMI, à la Banque mondiale, à la Commission européenne ou au Département d’État américain, Junior M’Buyi veut incarner une voix de la diaspora et a travaillé, à la demande du président de la RDC Félix Tshisekedi, à des solutions à mettre en place rapidement.
Le Point Afrique : Quels sont les atouts de la République démocratique du Congo (RDC) pour devenir l’un des leaders de l’Afrique et du monde de demain ?
Junior M’Buyi : La République démocratique du Congo est un pays qui a une superficie de 2 345 000 km2. Et son premier atout majeur, c’est sa démographie. Le pays compte aujourd’hui une population d’environ 100 millions d’habitants. Or, selon les estimations, la RDC atteindra entre 200 et 240 millions d’habitants à l’horizon 2050, ce qui fera d’elle l’un des pays les plus peuplés d’Afrique, voire du monde. Avec le titre de mon livre « Quand la RDC s’éveillera », un titre un peu provocateur, je fais le parallèle avec la Chine d’il y a 40 ans et le célèbre ouvrage d’Alain Peyrefitte « Quand la Chine s’éveillera ». Car, qu’est-ce qui a fait la puissance de la Chine ? C’est sa démographie.
Son deuxième atout, ce sont les ressources naturelles dont bénéficie le pays. Si la RDC est le deuxième poumon vert mondial derrière l’Amazonie, elle regorge aussi en son sous-sol de minerais parmi les plus rares au monde. À titre d’exemple, elle est le premier producteur de coltan, ce fameux minerai utilisé dans l’alliage de nos téléphones portables (60 % des réserves mondiales se trouvent dans la province du Kivu en RDC).
Elle a également une capacité de production électrique avec des barrages qui pourraient alimenter tous les pays limitrophes avec elle.
Et enfin, il y a sa puissance agricole. La RDC détient 80 millions d’hectares de terres arables. Avec cela, on pourrait nourrir deux milliards d’individus dans le monde. Dès lors, si les moyens sont mis en place, la RDC pourrait devenir une superpuissance agricole et mondiale.
Comment expliquez-vous que, malgré ses richesses, la RDC demeure l’une des nations les plus pauvres du monde ?
Cette situation fait suite à quarante années de gouvernance défaillante. Depuis cinq ans, il y a eu un changement d’administration avec l’élection de Félix Tshisekedi. C’est un signal fort ! On entre dans une période de transition. Malgré tout, le pays est victime d’agressions à l’Est. Or, il existe deux conditions inhérentes au développement durable d’un pays : « la stabilité démocratique et territoriale d’un côté, et la stabilité du système économique de l’autre ».
Dès lors, comment parvenir à la stabilité du système économique congolais ?
Pour arriver à une stabilité économique du pays, il faudrait que l’État se dote d’instruments comme une banque nationale. La RDC n’en possède pas aujourd’hui. Il faut aussi mettre en place des banques de financement et d’investissement avec des experts sectoriels. Dans le secteur bancaire par exemple, nous concevons des modèles mathématiques qui influencent les décisions d’octroi de crédit. Quand la RDC se dotera de banques de financement et d’investissement avec des experts sectoriels à même d’évaluer la notion de risque sur les différents secteurs d’activité, cela lui permettra de financer davantage et mieux, puisqu’elles auront mesuré les risques.
Tout ceci va être fructueux pour l’économie, car plus on injecte du crédit dans une économie, plus on fait tourner l’économie, et plus on attire la croissance. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, car les taux d’emprunt – rares – sont extrêmement élevés, ce qui ne pousse pas les investisseurs à demander ou à bénéficier de crédits.
Justement, vous écrivez dans le livre : « La première nécessité, c’est d’assurer la sécurité du système bancaire national et la supervision bancaire, garantir la stabilité financière et piloter les infrastructures financières. » Par quel moyen ?
Quand on veut avoir un système économique et bancaire fiable et robuste, il est indispensable de se doter d’organes de régulation. C’est un point très important ! Ils auront pour vocation d’assurer la stabilité du système financier et bancaire, de garantir de la transparence et de la discipline de marchés. Ce qui permet d’éviter toute menace de risque systémique et d’anticiper les risques, les faillites mais aussi de préserver les épargnes des déposants.
Face aux multiples problèmes auxquels est confrontée l’Afrique, quel rôle pourrait endosser le Congo dans la stabilité du continent ?
Le Congo peut jouer un rôle déterminant. Grâce à sa position centrale au sein de l’Afrique et en plein cœur de la région des Grands Lacs, il pourrait être une locomotive pour le reste du continent africain. D’une part, grâce au fleuve Congo qui traverse le pays, la RDC a érigé des barrages hydroélectriques (Inga I et Inga II). Si ces barrages tournent à plein régime, ils seront à même d’alimenter en électricité tous les pays frontaliers (neuf au total), voire jusqu’au nord de l’Afrique. D’autre part, il y a l’agriculture. Si elles sont pleinement exploitées, les ressources agricoles de la RDC peuvent à elles seules nourrir deux milliards d’individus. En somme, le Congo pourrait être à même de nourrir toute l’Afrique.
Cependant, lorsqu’on observe le taux de commerce intra pays africain, il est très peu élevé (de l’ordre de 10-15 %). Ce que je propose, c’est de mettre en place des pactes économiques régionaux, à l’instar de ce qui se fait en Amérique latine avec le Mercosur, l’Alena ou le pacte andin. Ces pactes de libre-échange vont contribuer au développement économique des pays africains, puisque ceux-ci vont bénéficier d’exonérations et de préférences tarifaires douanières. Mieux encore, ces pactes économiques régionaux vont permettre de réduire un fléau important en Afrique : les guerres. Plus on aura d’alliés commerciaux, moins on aura de conflits. Par l’économie, on peut résoudre les conflits !
De leur côté, quel rôle doivent jouer les diasporas dans le développement du continent ?
Les diasporas peuvent jouer un rôle majeur en Afrique. En RDC notamment, la diaspora manifeste son désir de revenir s’investir pleinement, mais il faut d’abord poser les bases d’un système légal et juridique qui favorise son retour. Il s’agirait alors de mettre en place des règles de normalisation prudentielle pour que les institutions financières et bancaires africaines adoptent des standards internationaux gages de confiance. Car plus on aura de la confiance, plus on va attirer les IDE (investissements directs étrangers). Ceux-ci vont être à la fois générateurs d’emplois, mais aussi de recettes fiscales pour les gouvernements. Des recettes qui pourraient être allouées à des postes clés et stratégiques pour le gouvernement tels que la santé, l’éducation ou le développement des infrastructures.
Depuis des années, l’aide au développement africain n’a pas eu les effets escomptés. Il faut changer de prisme et aller vers les partenariats économiques gagnant-gagnant, développer les investissements directs étrangers. Car, plus on aura des investissements massifs étrangers, plus ça créera de l’emploi et plus la jeunesse africaine – éduquée et employée – restera sur le continent. On n’aura plus à faire face à cet exode qui fait qu’aujourd’hui on a des vagues de migrants. On voit que ces pactes fonctionnent. À titre d’exemple, le groupe George Forrest est en RDC depuis 100 ans. Quand les choses sont bien faites, quand on met en place des structures qui bénéficient aussi aux populations, on peut atteindre cette longévité.
Comment percevez-vous l’évolution des relations entre le Congo et la France ? Existe-t-il un sentiment anti-français croissant dans le pays ?
On ne peut pas dire qu’il y a un sentiment anti-français. Je pense plutôt que l’on observe l’émergence d’une jeunesse africaine éduquée et formée, qui a accès à l’information et qui a constaté des déséquilibres dans les rapports entre la France, l’Europe et l’Afrique. La France doit mieux comprendre et connaître les enjeux du continent africain. Le sentiment qui domine aujourd’hui est plutôt une volonté de changement de paradigme dans les relations Europe-Afrique. Il faut rétablir l’équilibre, mettre en place les conditions du dialogue dans les relations bilatérales, mais aussi établir des pactes économiques dont bénéficient les pays concernés mais aussi les populations.
Comment se portent les relations avec la Chine et la Russie ?
Aujourd’hui, les relations de l’Afrique avec la Chine ou la Russie sont des relations de partenariat économique. Je pense que c’est un choix par défaut. Rappelons que l’Afrique et l’Europe (et la France) ont une histoire commune. Mais la méconnaissance du continent par l’Europe et la France fait que l’Afrique se tourne plus facilement vers ces partenaires-là qui font peut-être moins d’ingérence politique. L’Europe et la France auraient tout à gagner en reposant les bases d’une relation économique bilatérale avec l’Afrique dans des partenariats gagnant-gagnant. En investissant en Afrique, on crée de la richesse et de l’emploi, et on forme les populations. Avec la croissance, et par effet de levier, les pays européens bénéficieront automatiquement de cette croissance.
Vous parliez de l’accession de Félix Tshisekedi au pouvoir comme les premiers signes du changement dans le pays. Quel regard portez-vous sur son action ?
Il a impulsé des actions de changement et l’on commence déjà à mesurer les effets de ses initiatives. Je pense qu’il faut le soutenir pour poursuivre cet élan de stabilité.
Quels sont les défis auxquels devra faire face le Congo dans les prochaines décennies ?
Dans les prochaines décennies, le défi majeur auquel sera confronté le Congo sera d’abord le défi démographique. Si l’on ne prend pas la mesure de cette éclosion démographique, cela va contribuer à une paupérisation de la société. Cela va alors contribuer à un accroissement de la pauvreté et une augmentation inévitable de l’insécurité.
Ensuite, il y a un défi économique. Puisqu’il faut poser les bases de la confiance, attirer à nouveau les investissements, favoriser la création de richesse dans le pays pour créer de l’emploi. Enfin, il faut un secteur bancaire fiable et robuste, capable d’anticiper les risques systémiques et de garantir la sécurité des banques.
Vous concluez sur une note d’espoir avec l’émergence d’une nouvelle génération de jeunes hommes et jeunes femmes en Afrique. « L’éducation pour tous : un impératif politique, social et économique ». Le Congo en a-t-il les moyens ?
Depuis son accession au pouvoir, le président Félix Tshisekedi a lancé dans l’ensemble du pays une campagne de gratuité de l’enseignement primaire pour les garçons et les filles. Une mesure essentielle puisqu’on ne bâtit pas une nation sans éducation. L’accès à l’éducation des jeunes femmes est également un enjeu décisif. Il faut qu’elles aient accès à l’enseignement pour plus tard accéder à des postes clés dans la société. Une nation forte est une nation portée par une jeunesse éduquée.
Je rêve de voir la RDC comme acteur fort en Afrique, une superpuissance. Elle a tous les éléments, tous les atouts pour faire d’elle une puissance économique à l’échelle africaine mais aussi mondiale. L’objectif de ce livre est de pouvoir donner un regard différent à l’Afrique et à la RDC. Car je suis convaincu que l’avenir du monde ne peut s’inscrire sans le concours de l’Afrique et de la RDC.
Le Point / Provinces26rdc.com
Laisser un commentaire