Kagame succès et échecs de la présidence ( Union africaine 2018-2019 )

Le président rwandais Paul Kagame lors de l’Assemblée mondiale de la santé à Genève, le 21 mai 2018. © Fabrice COFFRINI / AFP

 

Grand, maigre, au regard perçant, le président sortant de l’UA incarne l’esprit de réforme qui souffle aujourd’hui dans les couloirs du vaste complexe ultra-moderne qui est le siège de l’organisation continentale. C’est au sommet de Kigali en juillet 2016 que les chefs d’État d’Afrique réunis lui avaient assigné la tâche de préparer un rapport sur la nécessité de changer de fond en comble les modalités de fonctionnement de l’UA. Auréolé de sa réputation de modernisateur de son pays, le président Kagame s’est mis au travail, en réunissant autour de lui, pour commencer, une équipe de neuf technocrates les plus brillants, issus notamment de la Banque africaine de développement, des Nations-unies et du cabinet McKinsey. Le rapport révolutionnaire préparé par cette équipe en un temps record a convaincu les chefs d’État et a valu à Kagame sa nomination à la tête de l’UA afin que celui-ci puisse lui-même mener à bon port ses projets.

Les réformes proposées par l’équipe Kagame s’orientent dans deux directions et concernent principalement le financement et le fonctionnement de l’UA. Leur rapport rappelle que cette dernière n’avait pas les moyens de ses ambitions, son budget opérationnel de 800 millions de dollars étant financé à hauteur de 80% par des bailleurs de fonds occidentaux.

D’où la nécessité de faire des économies. Kagame et ses collaborateurs se sont proposé de resserrer les champs d’intervention de l’UA à trois domaines, nommément la paix et sécurité, l’intégration continentale et la diplomatie. Ils ont recommandé de prélever une taxe de 0,2% sur les importations des États dans le but de constituer un « fonds pour la paix » destiné à financer les opérations de paix et sécurité. Parallèlement, dans un souci d’équilibrer le paysage réparti entre les grands et les petits pays, une réflexion a été lancée pour revoir les barèmes de cotisations des Etats de sorte que le total des contributions des cinq plus grands pays du continent ne soit pas supérieur à 40% du total du budget de l’organisation continentale. Objectif : contenir l’influence des grands.

Compromis et poursuite des négociations

Il aura fallu deux ans et pas moins de cinq sommets pour que l’équipe Kagame réussisse à aboutir à des compromis autour de ses principales propositions, alors que les discussions se poursuivent, deux ans après, autour des autres thèmes tels que la question des barèmes ou celle d’imposer des pénalités aux pays qui ne règlent pas leurs cotisations dans les délais impartis. En revanche, près de la moitié des 55 États membres ont accepté de payer une taxe de 0,2% sur leurs importations extra-africaines pour réduire la dépendance de l’UA à l’égard des bailleurs de fonds étrangers. « Ceci est indéniablement un succès, analyse Liesl Louw-Vaudran de l’ESS, même si les négociations se poursuivent avec l’autre moitié des pays qui ne veulent pas entendre parler de la taxe et préfèrent payer leurs quotes-parts selon d’autres modalités. »

Un compromis a également été trouvé sur la question de la réduction du nombre des commissaires ramené de huit à six, en fusionnant le département de la paix et sécurité avec celui des affaires politiques et le commerce et l’industrie avec les affaires économiques. Les États membres demeurent toutefois vent debout contre la proposition de charger le président de la Commission de l’UA de nommer le vice-président et les autres commissaires, ce qui est interprété par les États comme une perte de leurs prérogatives face à l’exécutif panafricain.

« La restructuration de la Commission reste un work in progress car aux yeux de nombreux chefs d’États, la Commission n’est pas autre chose, explique Liesl Louw-Vaudran, qu’un secrétariat de haut niveau et qui donc n’a pas pour vocation d’initier des idées. » Cette méfiance des États-membre à l’égard de la Commission, est un revers pour le tandem réformateur et complice qu’ont constitué pendant l’année écoulée le patron de la Commission de l’UA le Tchadien Moussa Faki Mahamat et le président sortant de l’UA le Rwandais Paul Kagame. « Cette méfiance s’inscrit dans la rivalité historique entre les chefs d’État et l’exécutif de l’UA, explique l’analyste de l’ISS. La véritable déconvenue rencontrée par le tandem a été, à mes yeux, le rétropédalage de l’UA sur le contentieux électoral récent en République démocratique du Congo (RDC).  »

Dans cette affaire, l’UA a en effet rompu avec sa tradition de réserve et de consensus, en contestant par voie de presse l’élection de Félix Tshisekedi à la présidence de la RDC, avant de demander le recomptage des voix. Comme l’on pouvait s’y attendre, les autorités congolaises n’ont pas donné suite à cette demande, perçue à Kinshasa comme un diktat. Un camouflet humiliant pour l’UA ? « Il faut croire que Paul Kagame a perdu la main  », commente pour sa part la chercheuse sud-africaine.

Un marché de 1,2 milliards de consommateurs

Cependant, alors que se déroulent depuis quelques jours à Addis-Abeba les travaux préparatifs en prélude du 32e Sommet de l’UA, qui s’ouvre ce dimanche, le sujet qui est sur toutes les lèvres dans les couloirs de l’organisation panafricaine, ce n’est pas la maladresse politique du tandem exécutif Kagame-Mahamat. Les délégués s’inquiètent de la poursuite ou non des réformes de l’organisation, avec l’entrée en scène d’un nouveau président de l’Union africaine, l’Égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, qui souhaite imposer ses propres priorités. Les couloirs de l’UA bruissent aussi des rumeurs sur la possible prochaine entrée en vigueur de la zone de libre-échange continentale (ZLEC).

Adopté contre toute attente par les chefs d’État à Kigali, le 21 mars 2018, «  le projet ZLEC ouvre la voie à la création d’un marché unique d plus de 1,2 milliards d’habitants », s’est enthousiasmé le commissaire pour le Commerce et l’industrie à l’UA, le Zambien Albert M. Muchanga. 52 pays ont depuis signé le projet, 19 Parlements nationaux l’ont ratifié. Il manque trois ratifications pour que le projet soit définitivement adopté, en attendant que le Nigeria, le Bénin et l’Érythrée, les trois pays qui ne l’ont pas encore signé, entrent dans la danse. Pour nombre d’observateurs de l’Afrique et de son évolution, c’est sans doute le lancement de cette initiative visionnaire qui définira le mieux pour la postérité l’année de la présidence Kagame à l’UA

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