Le leader tchétchène Ramzan Kadyrov a annoncé lundi qu’un « grand nombre » d’anciens mercenaires du groupe Wagner l’avaient rejoint. De quoi donner l’impression que l’homme est en train de se constituer une nouvelle machine de guerre sur les cendres de l’empire d’Evguéni Prigojine. Mais il en est encore loin.
L’héritage du groupe de mercenaires Wagner continue à être dispersé aux quatre coins de la zone d’influence russe depuis la mort, en août, de son patron Evguéni Prigojine. Cette fois-ci, c’est Ramzan Kadyrov, le dirigeant de la Tchétchénie, république intégrée à la Fédération de Russie, qui affirme en avoir obtenu une partie.
Il a annoncé sur Telegram, lundi 6 novembre, qu’un « grand groupe d’anciens combattants de Wagner suit un cours de formation intensif au sein de la célèbre unité des forces spéciales Akhmat [des mercenaires à la solde de Kadyrov, NDLR] ».
Maître en exagération
Pour appuyer son propos, Ramzan Kadyrov a mis en ligne une vidéo de quelques soldats heureux de s’entraîner à tirer sur des cibles factices et à simuler des opérations de premiers soins pour des combattants blessés.
« Ils suivront des cours de tactique, de médecine de campagne, recevront des formations de snipers, de mitrailleurs, de sapeurs, et d’artilleurs ! », précise le chef tchétchène. Une opportunité, selon lui, pour ces combattants « déjà aguerris par leur passage dans les rangs du groupe Wagner » de se mettre au niveau des troupes d’Akhmat.
Autrement dit, Ramzan Kadyrov suggère qu’il est en train de mettre en place une formidable machine de guerre qui serait un savant mélange de ses meilleurs hommes et d’un important contingent de mercenaires de Wagner qui ont « déjà eu l’occasion de prouver leur bravoure sur le front », assure-t-il.
« C’est bien évidemment une pure opération de communication comme sait si bien le faire Ramzan Kadyrov », tranche Jeff Hawn, spécialiste des questions militaires russes et consultant extérieur pour le New Line Institute, un centre américain de recherche en géopolitique. « Il est connu pour son art de l’exagération, et c’est probablement un nouvel exemple de cette tendance », ajoute Huseyn Aliyev, un expert du conflit en Ukraine à l’université de Glasgow, qui a étudié les groupes privés de mercenaires comme Wagner.
D’abord, la force Akhmat ne constitue pas le gratin des mercenaires engagés sur le front ukrainien. “C’est un bataillon d’environ 500 à 600 combattants volontaires qui a une très mauvaise réputation”, résume Huseyn Aliyev.
Au printemps 2022, Ramzan Kadyrov a commencé par envoyer une partie de ses soldats tchétchènes, réputés être des combattants tenaces. Mais ces troupes ont rapidement subi d’importantes pertes et le dirigeant de Tchétchénie n’a pas tardé à les rappeler à la maison.
« Régiment TikTok »
Il a alors réorganisé ce bataillon sur un modèle plus proche des groupes privés de mercenaires, tels que Wagner. Résultat : « Akhmat recrute à peu près n’importe qui aujourd’hui et la plupart des combattants ne sont pas du tout tchétchènes », explique Huseyn Aliyev. « La fonction d’Akhmat pour Ramzan Kadyrov est de pouvoir démontrer qu’il participe à l’effort de guerre russe sans pour autant gâcher ses meilleurs troupes”, précise Danilo delle Fave, expert en stratégie militaire à l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.
Ce groupe constitue donc avant tout un réservoir de chair à canon que les militaires russes ont, en outre, surnommé le “régiment TikTok », « pour sa propension à se mettre en scène en vidéo plutôt qu’à briller sur le front », souligne le journal russe indépendant Novaïa Gazeta.
À cet égard, ce sang neuf « wagnérien » apportera sans doute « un peu d’expérience et de savoir-faire à cette unité », avance Huseyn Aliyev. Encore que les meilleurs éléments du célèbre groupe de mercenaires ne rejoindront probablement pas les rangs d’Akhmat. « Ils ont déjà été récupérés par le ministre de la Défense Sergueï Choïgou pour son propre groupe de mercenaires ou ont été directement intégrés à l’armée régulière », souligne Danilo delle Fave.
Ceux qui sont restés ont dû, en outre, prêter allégeance à Ramzan Kadyrov à reculons. En effet, lors de la rébellion d’Evguéni Prigojine en juin 2023, le leader tchétchène avait rapidement mobilisé les combattants d’Akhmat pour faire barrage aux mercenaires de Wagner, si besoin. Autrement dit, les anciens de Wagner qui rejoignent cette unité le font « parce qu’ils n’ont pas le choix et que la solde y est meilleure qu’ailleurs », affirme Huseyn Aliyev.
Se servir de Wagner pour se rapprocher de Poutine
Ainsi, l’annonce de l’arrivée d’ex-combattants de Wagner au sein du bataillon Akhmat n’est « militairement pas très importante, mais beaucoup plus significative sur le plan politique », estime Jeff Hawn.
Pour cet expert, l’homme fort de Grozny espère profiter de la marque Wagner pour renforcer son influence sur la scène politique nationale. En effet, les mercenaires de feu Evguéni Prigojine « jouissent de la réputation de combattants qui réussissent là où l’armée régulière échoue », souligne Danilo delle Fave, rappelant que Wagner s’est toujours vanté – à tort ou à raison – d’avoir remporté seul la très symbolique bataille de Bakhmout.
Leur accueil au sein d’Akhmat – et en grand nombre, à en croire Ramzan Kadyrov – permet au chef tchétchène de prétendre que « militairement, il est l’homme fort en Russie puisque les mercenaires de Wagner l’ont choisi lui », décrypte Jeff Hawn.
Une manière de se présenter comme un contrepoids à l’influent Sergueï Choïgou. En faisant main basse sur une partie des actifs de l’empire Prigojine, le ministre de la Défense a renforcé sa position au Kremlin. Même si Vladimir Poutine a laissé faire, « il n’aime pas quand l’un de ses subalternes devient trop puissant », estime Jeff Hawn.
Ramzan Kadyrov a aussi choisi le bon moment pour faire son autopromotion. La prochaine élection présidentielle a lieu dans quelques mois en Russie, et « chacun commence à placer ses pions pour avoir une place à la table des puissants quand Vladimir Poutine, qui sera très probablement réélu, redistribuera les rôles », affirme Danilo delle Fave.
Pour l’instant, l’influence de Ramzan Kadyrov « reste cantonnée à la Tchétchénie, car même s’il est connu de tous en raison de ses sorties médiatiques, il reste honni par ceux qui comptent dans l’entourage de Vladimir Poutine », note Jeff Hawn. Il espère que son bataillon Akhmat, renforcé par des éléments de Wagner, pourra lui servir de rampe de lancement vers un destin national.
France 24 / Proinces26rdc.com
Laisser un commentaire