Nouvelle-Zélande – Afrique du Sud : L’hémisphère sud roi du rugby mondial, vraiment ?

Alors qu’on le disait moribond avant le début de la Coupe du monde, le rugby de l’hémisphère sud a placé trois équipes en demi-finales, et deux en finale : la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud, qui se défie samedi au Stade de France.

À l’issue de cette 10ᵉ édition du Mondial, l’Angleterre restera encore au moins quatre ans de plus la seule nation du nord à avoir été sacrée, en 2003.
Pourtant, l’hémisphère nord reste clairement la force motrice du rugby mondial.

Avant le coup d’envoi, déjà lointain, de cette Coupe du monde en France, on promettait l’enfer au rugby de l’hémisphère sud, avec ses résultats en berne depuis le dernier Mondial 2019 au Japon, et ses finances en souffrance. Un phénomène aggravé par le Covid qui avait isolé et fragilisé en particulier la Nouvelle-Zélande. Sept semaines plus tard, on se retrouve pourtant, ce samedi, avec une finale All Blacks – Springboks après des demies où s’était aussi invitée l’Argentine.

L’Angleterre, seul pays au nord de l’équateur à avoir soulevé le trophée Webb-Ellis (en 2003), faisait figure d’intrus dans ce dernier carré. Pour la troisième fois en 10 éditions, après 1995 (Afrique du Sud – Nouvelle-Zélande, déjà) et 2015 (Nouvelle-Zélande – Australie), le dernier match de la compétition oppose donc deux contrées des terres australes. Et quelle que soit la nation victorieuse au Stade de France, elle trônera seule au sommet du palmarès, avec quatre titres.

 

Alors forcément, on se moque depuis le week-end dernier des talents de médium de Sir Clive Woodward, et pas seulement parce qu’il est anglais. Le 8 octobre, avant les quarts de finale, le sélectionneur des champions du monde 2003 se mouillait carrément dans sa chronique pour le Daily Mail : « Les équipes européennes ont dominé la phase de poules et je prédis un carton plein du VI Nations en quart. »

4/4 pour le Nord à la sortie des poules, zéro pointé en finale

Bon OK, a posteriori, on était plus près des prévisions de Paco Rabanne que de celles de Paul le Poulpe. Mais il n’empêche que l’ancien mentor de Jonny Wilkinson s’appuyait sur des statistiques irréfutables puisque la France (en battant au passage la Nouvelle-Zélande), l’Irlande (avec un succès sur l’Afrique du Sud), le pays de Galles et l’Angleterre (tombeuse de l’Argentine) avaient chacune dominé leur groupe. Du jamais vu en 36 ans de compétition. Ce 4/4 apparaissait alors, on ne peut plus logique, au regard du rapport de force dans le rugby mondial ces dernières années.

Aujourd’hui, les supporteurs de ces différents pays se contrefichent de cette stat, pour des raisons évidemment différentes. « On a trois grandes nations du sud qui restent très difficiles à battre pour les quatre ou cinq grandes nations européennes, c’est paradoxal, mais c’est le constat », lâche l’économiste du sport Jean-Pascal Gayant. Avec un bémol toutefois : « Je fais partie de ceux qui pensent que le tirage au sort et l’arbitrage ont posé quelques problèmes dans cette Coupe du monde. »

On ne va pas de nouveau revenir sur ce tirage effectué près de trois ans avant la compétition, avec une hiérarchie bien différente de celle de l’avant-Mondial, lorsque Irlande et France se tiraient la bourre en tête du classement mondial. World Rugby a d’ailleurs décidé de modifier son calendrier. Ou bien épiloguer encore sur les décisions de Ben O’Keeffe lors du quart de finale France – Afrique du Sud (28-29) puis de la demie Angleterre – Afrique du Sud (15-16), deux rencontres aussi indécises que le fabuleux quart Irlande – Nouvelle-Zélande (24-28).

Des flux de joueurs presque exclusivement du sud vers le nord


Ceci dit, et aussi étrange que cela puisse paraître tant la Coupe du monde est devenue l’alpha et l’oméga du rugby, la revanche des nations du Sud ne doit pas masquer un phénomène de fond. « Economiquement, la force reste du côté du nord, reprend Jean-Pascal Gayant. Les grandes stars internationales sont très présentes en Top 14 surtout, et dans le championnat anglais. C’est quand même un indice fondamental. Un très bon joueur français, anglais ou irlandais va rarement aller jouer en Nouvelle-Zélande, en Australie ou en Afrique du Sud alors qu’à l’inverse, le flux est très important. »

Les All Blacks, qui vont perdre des semi-retraités comme Sam Whitelock (en partance pour Pau) ou Nepo Laulala (Toulouse), mais aussi le jeune ailier Leicester Fainga’anuku (Toulon), bataillent à armes très inégales, lorsqu’il s’agit de conserver leurs meilleurs joueurs. Après l’expérience avortée des Jaguares, les Argentins squattent le Top 14. Et ne parlons pas des malheureux Australiens, piteusement éliminés en poule cette année, alors qu’ils doivent accueillir la Coupe du monde 2027.

Reste le cas du tenant du titre sud-africain, qui a bénéficié de son fuseau horaire favorable pour accrocher son wagon à la locomotive du Nord. Ses provinces ont d’abord intégré l’URC (l’ancienne Ligue celte) puis les Coupes d’Europe. Et ses cadres trentenaires (De Klerk, De Allende, Kriel, Du Toit…) ont trouvé le bon filon via un exil japonais aussi intéressant financièrement que physiquement, avec un calendrier bien moins chargé que celui des internationaux français.

La Coupe des Nations, une bouffée d’oxygène ?

« Le jeu de l’Afrique du Sud convient vraiment bien au format des Coupes du monde, jugeait en outre début septembre dans Le Parisien Bryan Habana, ancien ailier des Boks titrés en 2007. La domination physique, un jeu au pied très efficace, et des options offensives variées. » Pourtant, structurellement, « il y a une fragilité plus grande chez les nations du Sud et le nord reste le centre du rugby mondial », souligne Jean-Pascal Gayant.

« World Rugby a annoncé la Coupe des Nations avec 12 pays, qui est quasiment une ligue fermée, poursuit le directeur de l’IUT de Saint-Malo. Aux yeux de cette organisation, il est nécessaire de faire naître des compétitions plus nombreuses, récurrentes, qui aient un impact au niveau des droits télé et commerciaux pour leur permettre de distribuer davantage aux fédérations, en particulier celles de l’hémisphère sud qui ont quand même des difficultés économiques. »

Tout n’est pas rose non plus au nord, avec une FFR qui perd de l’argent et une Angleterre qui perd ses clubs (Wasps, London Irish, Worcester Warriors et Jersey Reds), dont le modèle a été impacté par la crise du Covid. Mais, en attendant un éventuel éveil des États-Unis (hôtes du Mondial 2031) au rugby, l’Europe reste le cœur névralgique de ce sport très loin d’être universel. Dommage que ça ne se soit pas vu lors de cette Coupe du monde.


20 minutes / Provinces26rdc.com

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