
L’année 2018 a été marquée par des faits de racisme assez violents qui ont provoqué diverses manifestations et des débats au sein de la société belge. Longtemps occultée, la question raciale s’est imposée à tous suite aux incidents racistes dont certains ont été fort médiatisés.
Ensuite ce fût le tour d’une présentatrice de la RTBF, victime d’insultes racistes à répétition. Ces cas, loin d’être isolés, ont permis à beaucoup de personnes d’origine africaine de libérer la parole et de témoigner de leur vécu parfois pénible en tant que Noirs dans la société belge.
Rappelons l’agression raciste de deux jeunes filles noires au Festival Pukkelpop à Hasselt, accompagnée non seulement d’insultes et de violences physiques, mais aussi de slogans faisant l’apologie des mains coupées au Congo durant le règne de Léopold II. Peu de temps après, l’on assistait à l’agression raciste d’un mineur noir sur un quai et qui a dégénéré en bagarre sur les voies ferrées.
Si les faits rappelés ci-haut sont d’un racisme direct et violent, d’autres par contre sont insidieux et donc pas détectables au premier abord. On les retrouve plus dans les milieux intellectuels, des professeurs vis-à-vis des élèves ou des étudiants Noirs ou alors, dans les milieux professionnels où à compétence égale, l’employé d’origine africaine doit se donner deux fois plus pour être reconnu ou promu. Désormais, on ne nie plus le problème, on ne banalise plus les incidents racistes.
Diverses organisations ont décidé de mettre cette réalité à nu et de lutter contre les stéréotypes et autres préjugés alimentés par tant d’images et de caricatures dégradantes sur les Noirs. Parallèlement, plusieurs organisations mettent en évidence l’apport incontestable des Africains et particulièrement, des Congolais au développement de la société belge. Ce combat noble est porté tant par des Africains que par des Belges épris de justice et d’équité.
Du racisme au tribalisme
Comment comprendre qu’en quelques mois, un autre front du même ordre que le racisme s’ouvre au sein de la communauté Congolaise de Belgique suite aux élections chaotiques en République démocratique du Congo ?
En effet, les germes qui nourrissent le racisme comme le tribalisme sont du même ordre. Elles consistent à diaboliser l’autre, à nier son humanité et à inscrire dans l’inconscient collectif son élimination. Ainsi, l’on a pu observer que le niveau d’études ou de formation n’a aucun impact sur ces comportements. Des intellectuels comme des gens peu instruits alimentent, chacun à son niveau, ces germes et les distillent dans la communauté. D’autres préfèrent garder le silence ou la neutralité et très peu ont le courage de dénoncer.
Combattre le racisme tout comme le tribalisme nécessite impérativement de commencer par le diagnostic des causes effectives de la problématique et les pallier. C’est un travail de longue haleine mais indispensable pour le mieux-vivre ensemble car, le racisme tout comme le tribalisme fragilise davantage les individus, les exposant à un double combat, celui lié à la couleur de la peau et à l’appartenance ethnique.
Au Congo, comme dans la plupart des pays africains, les différentes politiques qui ont été menées ont toujours eu des contours ethniques. Loin de résoudre les antagonismes existants entre ethnies, les gouvernants s’en sont souvent servis pour asseoir leur pouvoir et dans certains cas, les ont même suscités selon le vieux principe « diviser pour régner », renforçant de fait, le sentiment d’appartenance ethnique.
Les frontières « ethniques » telles qu’on les connaît aujourd’hui ont été dessinées et instrumentalisées à l’époque coloniale pour mieux assoir le pouvoir colonial. En perpétuant ce genre de dérives, on perpétue inconsciemment la logique coloniale.
L’on a pu ainsi constater en RDC au fil des décennies une stigmatisation plus grande des Kasaïens au point que diverses expressions sont passées dans le langage courant tendant à les diaboliser, par exemple « entre un muluba1 et un serpent, qui tuerais-tu ? », la réponse étant « naturellement le muluba ». Certains en rient et banalisent même cela et ce d’autant plus qu’il y a un tel brassage entre ethnies du fait des mariages avec des Kasaïens.
Cependant, il faut rappeler plusieurs épisodes d’épuration ethnique des Kasaïens notamment au moment de l’indépendance ; en 1992 au Katanga suite au conflit opposant deux leaders politiques, Mr Nguz Karl Ibond et Mr Etienne Tshisekedi et en 2017, les massacres des Kasaïens sur leur propre sol, au Kasaï central, suite à l’affaire Kamuina Nsapu. Cette tragédie marque encore les consciences.
Pourquoi cette dérive tribale en immigration ?
L’expression : « chasser le naturel, il revient au galop » est peut-être une réponse à cette question. Comme en 1992, un conflit post-électoral, qui implique des leaders politiques du Bandundu et du Kasaï dégénère en une dérive tribale effrayante. Le plus dramatique est de constater que de nombreux électeurs du Kasaï supportaient le leader politique originaire du Bandundu, Martin Fayulu et que d’autres du Bandundu supportaient le leader originaire du Kasaï, Felix Tshisekedi. Ce libre choix d’une appartenance politique transcendant les clivages communautaires et linguistiques est digne d’une société qui se veut démocratique et tolérante. C’est ainsi que l’on peut lutter contre l’instrumentalisation ambiante de la fibre ethnique.
L’annonce des résultats de l’élection présidentielle par la CENI a provoqué des contestations politiques somme toute normales dans une société et nullement nouvelles pour les Congolais qui les ont vécues, en 2006, à l’annonce des résultats de l’élection présidentielle opposant Mr Kabila à Mr Bemba et, en 2011, à celle opposant Kabila à Tshisekedi, père. Donc quoi de plus normal que les résultats de l’élection présidentielle de 2018, opposant Felix Tshisekedi, fils et Martin Fayulu soient contestés ?
Alimentées par les médias main Stream et les réseaux sociaux, l’on a assisté à une dérive des contestations politiques se muant en une éclosion de haine et un appel à s’en prendre aux Balubas. Certains sont passés à l’acte à Kinshasa et dans le Bandundu d’après plusieurs témoignages venant du Congo.
Dans cette situation de crise généralisée où les ethnies partagent le même sort c’est-à-dire la misère, la pauvreté, quel intérêt ont-ils à s’entretuer ? A qui profitent ces crimes ? Comment peut-on bâtir une nation lorsque certains hommes politiques font appel ouvertement à l’épuration ethnique et relayés dans ce projet machiavélique par certains intellectuels qui distillent une certaine idéologie qui conforte la division et la haine entre les ethnies ?
Racisme, tribalisme, y a-t-il une limite ?
Dans un article « Le cœur des ténèbres », J-P. Jacquemain relève : « S’accommoder du mépris infligé quotidiennement aux autres sous le prétexte qu’ils n’ont pas la bonne peau, la bonne langue, la bonne religion, la bonne façon de rire ou de pleurer, c’est là que réside le danger….tous les jours en Belgique … des gens subissent pour ces raisons des injures graves, de vraies blessures. Qu’elles soient, le plus souvent, plus morales que physiques n’atténue en rien le fait. Y aurait-il en cette matière un quelconque seuil de tolérance en deçà duquel le racisme – petit, donc normal – aurait le droit de cité ? »
La limite de ces dérives devrait être avant tout, une prise de conscience de la souffrance infligée à l’autre et surtout du risque de cristallisation des antagonismes susceptibles de plonger la communauté dans une spirale incontrôlable, les victimes devenant des bourreaux à leur tour. En effet, les germes de division et de haine véhiculées par le racisme tout comme le tribalisme peuvent s’entretenir jusqu’à l’infini et anéantir les communautés.
La superposition du tribalisme sur le racisme en immigration, place l’individu dans un double combat sur deux fronts qui le fragilise et met à mal l’humanité. En outre, elle constitue une menace pour la cohésion sociale et provoque une dispersion des forces nécessaires pour changer la face de nos sociétés. Tout être humain a droit à la dignité et à la vie qui est un don du Très-Haut. Le tribalisme, d’où qu’il vienne, doit être combattu avec la même énergie que le racisme. Le brassage des ethnies et des peuples est et demeurera une grande richesse pour l’humanité et une chance pour le vivre ensemble.
Ce qui mine l’Afrique en général et la République Démocratique du Congo en particulier, c’est la kléptocratie, le clientélisme, le népotisme, l’incompétence et la corruption généralisée et non la diversité ethnique qui constitue en soi une richesse pour autant qu’elle soit utilisée à bon escient pour construire une Nation.
Patrice Lumumba disait : « Pour animer la nation, il faut surpasser les ethnies ; celles-ci doivent s’y retrouver mais elles ne doivent pas dominer la politique », a écrit Jean-Claude Willame dans « Patrice Lumumba – La crise congolaise revisitée » P. Lumumba, conversation avec J. Van Lierde – Ed Karthala, 1990
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