RDC : Jean-Pierre Lacroix « Notre espoir c’est que le processus électoral permette de déboucher sur des élections libres »

Le secrétaire général adjoint de l’ONU qui était en mission en RDC, revient, dans un entretien accordé à l’Agence Anadolu, sur l’action onusienne sur terrain et les risques qu’encourt le pays en cas de crise politique majeure.

Son agenda est chargé. Le Français Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint des Nations Unies en charge des opérations de maintien de la paix, passe beaucoup de temps dans les airs, sans que cela ne l’empêche de porter un regard analytique de la situation sur le terrain, ses équipes posant ses valises d’une ville à une autre.

Dimanche dernier, il a bouclé 4 jours de mission en République démocratique du Congo (RDC), alors que la crise politique prend une nouvelle tournure. Un nouveau président de la Commission électorale nationale indépendante a été investi par le Président Félix Tshisekedi, alors que sa désignation est contestée par les confessions catholique et protestante, deux des huit confessions religieuses chargées de designer le président de cette stratégique institution.

Un acte qualifié par l’opposition de « passage en force » de Tshisekedi. Mais Lacroix a surtout foulé le sol congolais pour évaluer la situation sécuritaire dans l’Est congolais où environ 1000 civils avaient été tués en 5 mois dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, en dépit de l’état de siège décrété par le Président.

Les Casques bleus sont déployés dans la région pour tenter d’étouffer rebelles, miliciens et autres assaillants.

A l’hôtel Beatrice de la Ville de Beni où la florissante explosion des immeubles contraste avec l’insécurité dans la région, le chef adjoint de l’ONU revient, dans un entretien accordé à l’Agence Anadolu, sur l’action onusienne sur terrain et les risques qu’encourt le pays en cas de crise politique majeure.

Vous êtes de retour en RDC. Fin de votre tournée dimanche par le territoire de Beni. A l’épreuve de la colère de la population, pour elle rien n’a changé ici, les civils se font massacrer chaque jour et cela depuis 7 ans. Quel diagnostic faites – vous de la situation et de la réponse gouvernementale et onusienne ?

« C’est ma première fois d’avoir eu des échanges peu tendus avec les représentants de la société civile dans la région. Nous avons entendu une expression de reconnaissance du fait que dans la ville de Beni, la situation sécuritaire s’est améliorée. Crédit a été donné aux efforts de la MONUSCO et des forces armées de la RDC (FARDC). Il faut consolider ces résultats et aller plus loin. Mais il y a une situation qui reste très difficile ici en dehors de la ville de Beni. Ce qui se passe est que quand il y a des pressions croissantes sur les groupes, particulièrement l’ADF, ceux – ci font des représailles sur les populations civiles en allant souvent de nuit, assassiner les populations. Ce sont des petits des groupes flexibles et très mobiles. Nous avons une coopération qui s’est très substantiellement renforcée avec les FARDC. Nous apportons un soutien logistique massif en transport, en carburant, en rations, en évacuation médicales, on évacue également les soldats congolais blessés, mais aussi en appui feu sur le théâtre. Ça se passe de manière intense. Maintenant, nous avons une planification conjointe, un état – major conjoint avec les FARDC. Notre dispositif s’est renforcé avec de nouvelles composantes des compagnies de réaction rapide et toute la force est mise sous tension. Du coté des FARDC, je décris une situation de déficit en matière logistique, ce qui fait qu’ils ne sont pas en mesure de rester longtemps lorsqu’une opération a réussi et a repoussé l’ennemi. Je crois qu’il faut aussi mettre beaucoup l’accent sur la poursuite de la réforme des FARDC. Nous allons bâtir sur cette coopération qui se renforce ».

Vous parlez d’une coopération renforcée, mais comment se fait – il que l’armée congolaise déplore des retards dans la fourniture des renseignements par la MONUSCO ?

« Je n’ai pas entendu ça. Si on veut aller plus loin, il faudra être meilleur non seulement en matière de collecte du renseignement, mais aussi en exploitation du renseignement. Le fait de pouvoir planifier conjointement, maintenant, ça veut dire qu’on va planifier sur la base des renseignements. Si on n’a pas un même niveau des renseignements et le partage transparent, on ne peut pas planifier correctement et exécuter. C’est un axe prioritaire. Il y a trois aspects : coordination totale avec nos partenaires congolais, utilisation des moyens techniques comme les drones et autres moyens qui se renforcent et exploiter le renseignement qui est devant nous, y compris auprès des communautés ».

Tous ces efforts, mais comment expliquez – vous ces opérations, alors que le nombre des victimes s’accroit. On parle de plus de 1000 civils tués en 5 mois à Beni et dans la province de l’Ituri ?

« Il y a une situation qui reste très sérieuse ici. L’une des clés sera notre capacité à réagir plus vite pour prévenir les menaces. Quand on a un territoire vaste comme Beni, difficile d’accès, ce n’est pas facile. Ça ne constitue pas pour nous une excuse pour faire davantage et réagir rapidement. Il faut que nous puissions trouver un moyen de dégrader la capacité de l’ADF à recevoir des ressources. Il y a des liens transfrontaliers, une connexion avec l’exploitation illégale des ressources, ce sont des domaines nécessitant d’approfondir le travail ».

Le Président Felix Tshisekedi a placé les provinces du Nord – Kivu et l’Ituri sous état de siège, une mesure exceptionnelle, mais critiquée par l’opposition et la société civile. Est-ce une solution adaptée pour enrayer la violence dans la région ?

« Il y a une nouvelle organisation. Ce qui est important, c’est d’avoir plus d’impact. La société civile nous a fait part d’un message contrasté : reconnaissance des progrès dans la ville de Beni, demande qu’il y ait plus, mais aussi, préoccupation parce que dans plusieurs zones en dehors de Beni, il y a cette civilisation grave avec les assassinats, des représailles, c’est ça qui nous préoccupe. On n’a pas à prescrire quel doit être le statut de telle ou telle région. Nous avions noté lorsque l’état de siège avait été décrété, l’annonce avait été accompagnée par un engagement de respecter les libertés publiques, nous sommes évidemment sensibles parce que ce sont les valeurs des Nations Unies».

Pendant votre visite en RDC, la crise politique s’est exacerbée. Le nouveau président de la CENI a été investi par le président Felix Tshisekedi, il est contesté. Qu’avez- vous conseillé au président avant de quitter Kinshasa pour les provinces ?

« Notre espoir c’est que le processus électoral qui s’engage permette de déboucher sur des élections libres et équitables et que le processus se fasse sans que les tensions qui sont inévitables pendant tout processus électoral, ne débouche sur des fractures. Ça c’est vraiment l’objectif fondamental. Nous sommes prêts à concourir à cet objectif, prêts à aider le processus électoral. En ce qui concerne les modalités plus précises dans lesquelles les Nations Unies y compris la MONUSCO pourraient soutenir le processus, il y a la nécessité de poursuivre des consultations avec les autorités congolaises, parce que nous aurions besoin de nous appuyer sur des attentes et demandes précises ».

L’opposition dénonce une prise de contrôle de la CENI, mais aussi de la cour constitutionnelle. Nous sommes à deux ans des élections. Ne craignez – vous pas que la RDC soit empêtrée dans une crise politique majeure ?

« C’est ce qu’il faut éviter d’abord parce qu’inévitablement, l’amplification des tensions dans le contexte du processus électoral, risquerait de détourner l’attention de travailler sur les problèmes de fond qui sont indispensables et qui participent des objectifs, du plan conjoint qui fixe des objectifs principaux et attentes pour que les conditions puissent être réunies d’un départ progressif de la MONUSCO. S’il y a fracture, si les tensions politiques s’exacerbent, en ce moment-là, l’attention risque d’être complètement détournée pour traiter ces questions de fond. Et ce sera très négatif et dommageable pour la population congolaise et pour ce pays ».

Comment s’attendre à des élections meilleures alors qu’il n’y a pas de consensus dès le départ entre parties prenantes ?

« Il y a encore beaucoup de temps avant les élections. Le processus est encore à sa phase relativement initiale. Il y a les tensions, nous les observons, nous avons parlé avec les forces politiques, y compris les forces d’opposition. Nous avons bien entendu leurs préoccupations. Afin que ces tensions ne débouchent pas sur des fractures, chacun doit faire les efforts nécessaires, y compris les autorités pour que ce processus se fasse de manière ordonnée, sans crise et débouche sur des élections équitables ».


AA /provinces26rdc.net

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