RDC : « La rupture passe par la sanction et la revalorisation du pouvoir judiciaire (À propos du changement de régime Modeste Mutinga M )

Président du Parti des démocrates pour la bonne gouvernance (PDG) et du regroupement politique Alliance pour l’alternance démocratique (AAD), le sénateur Modeste Mutinga Mutuishayi sort du bois. Il interpelle le nouveau régime issu des élections du 30 décembre 2018. Dans un entretien exclusif avec Le Potentiel, il développe son plaidoyer en faveur de la revalorisation du pouvoir judiciaire.  Par ailleurs, il ne cache pas son scepticisme quant à la rupture avec les antivaleurs que promet l’attelage formé par la coalition CACH et FCC.

ENTRETIEN AVEC BEN-CLET KANKONDE DAMBU

Le Potentiel : Vous semblez très préoccupé par la problématique de la justice, au point de lui consacrer « Pour une République des juges … contre l’impunité », un ouvrage que vous avez publié en 2017. Que justifie votre attitude ?

Modeste Mutinga : Je suis très préoccupé comme tous les patriotes qui aiment leur pays, leur patrie. Je suis même inquiet pour l’avenir du pays au regard du déclin moral, managérial et institutionnel que connaît la RD Congo depuis plus d’une décennie. Ce diagnostic est fait par les scientifiques, les politiques et autres hommes de Dieu. Et la thérapeutique proposée va en sens divers. On a, par exemple, vu les candidats à la présidentielle proposer des solutions plus orientées vers la situation financière et budgétaire du pays en envisageant de le doter d’un budget annuel de plusieurs dizaines de milliards de dollars. J’estime que personne, parmi eux, n’a abordé le fond de la crise pour proposer une solution idoine.

Pour moi, le mal profond qui gangrène notre pays est l’absence totale de la justice et l’inféodation du pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif. Ce mal a conditionné négativement les résultats des récentes élections à tous les niveaux. En faisant une rétrospective des dix dernières années, on note que le pays s’est enfoncé dans le bourbier de la prédation, de la mauvaise gestion des finances publiques, de la corruption à tous les niveaux ainsi que de la paupérisation des populations. Certes, nous venons d’enregistrer l’alternance au sommet de l’État à l’occasion des élections du 30 décembre 2018. Mais je doute que l’alternance ne se transforme en vrai changement.

Quels arguments conforteraient vos doutes ?

Je citerai, à titre illustratif, l’avènement du nouveau régime à travers des coalitions contre nature ; la continuité du régime Kabila au travers des élections législatives et provinciales. J’ai l’impression qu’il en sera de même à l’issue des élections sénatoriales. Alors, qu’est-ce qui aura changé car le même système d’impunité risque de continuer ? Que pourrait faire le président Félix-Antoine TshilomboTshisekedi avec une représentation minoritaire à tous les niveaux face à un Front Commun pour le Congo    (FCC) qui s’accroche et se bat avec tous ses lieutenants pour conserver tous ses privilèges ? Des milliers de compatriotes se seraient ils battus pour un changement en trompe l’œil ? De nombreux martyrs auraient-ils sacrifié leur vie pour pérenniser la mauvaise gouvernance ?

Ayant gagné à tous les niveaux – Assemblée nationale et Assemblées provinciales – la majorité kabiliste pourrait remporter certainement les sénatoriales ainsi que l’élection des gouverneurs. Que peut-on attendre d’un tel dispositif institutionnel dominé par le FCC ?

C’est déplorable. La Céni n’a pas été à la hauteur de sa tâche. Elle a procédé plutôt aux nominations qu’au pilotage des élections démocratiques, transparentes et crédibles. Conséquence : la rupture n’aura pas effectivement eu lieu. On prend les mêmes et on recommence. On risque de renouveler une équipe qui n’a pas gagné. Le président Félix Tshisekedi devrait donc demander à ses partenaires du FCC de lui proposer des hommes nouveaux, compétents, crédibles et de bonne moralité. Car aligner tous les ténors et thuriféraires qui ont brillé par une mauvaise gestion de la chose publique serait naviguer à contrecourant des aspirations du peuple. Il en porterait seul la responsabilité devant l’Histoire.

« Coalitions contre nature », dites-vous, et vous semblez oublier que la politique est éminemment un art de compromis permanents ?

D’accord mais il faut des compromis qui tiennent compte de règles d’éthique et de bonne moralité, qui tiennent aussi compte de fondements idéologiques. Il est inconcevable de trouver les Socialistes coalisant avec les Libéraux et les Communistes pour une gestion de sortie de crise. D’une manière générale, les coalitions issues de dernières élections sont bancales et visent surtout la distribution des postes et la conservation des privilèges.

Dans « Pour une République des juges », vous insistez sur l’indépendance de la justice. Cela estil possible dans notre pays ?

L’indépendance du pouvoir judiciaire a été ravalée au bas de l’échelle par la dernière révision constitutionnelle,
en ce qu’elle consacre l’injonction gouvernementale sur les parquets. On ne peut donc pas s’étonner que la Haute Cour constitutionnelle et tous les parquets soient aux ordres du ministre de la justice, lequel ordonne arrestation et libération, selon son bon vouloir .

Y aurait-il un système analogue dans d’autres pays ?

Dans le système français, dont la RD Congo s’inspire beaucoup, la justice jouit de son indépendance. On peut en dire davantage en évoquant les États-Unis d’Amérique qui sont le modèle du genre !

Après la litanie des griefs dénoncés par les Congolais, comment le président de la République peut-il innover pour imprimer le changement du système judiciaire ?

On ne lui demande qu’une chose : marquer la rupture avec le passé. À mon avis, la rupture passe impérativement par la revalorisation et l’indépendance du pouvoir judiciaire. Pour combattre la corruption, pour instaurer la bonne gouvernance, pour mettre fin à l’impunité, le président de la République devrait mettre sur pied un pouvoir judiciaire qui va lui assurer la bonne exécution des lois et règlements de la République ; un pouvoir judiciaire qui va mettre hors d’état de nuire tous les maffieux et autres prédateurs de la République.

Voulez-vous dire qu’il devrait, notamment, réactiver « les services du conseiller Luzolo », avec ou sans le même animateur ?

Je parle de rupture. Ceci implique l’appel à des magistrats et des juges compétents dont la probité est de notoriété publique. L’appareil judiciaire en compte par centaines. Malheureusement, ces hommes et femmes d’exception sont souvent victimes de mises en place et de nominations dictées par des calculs de coterie, sinon par des considérations d’intérêts égoïstes.

Vous préconisez la mise hors d’état de nuire de « tous les maffieux ». Exhortez-vous ainsi le président à opérer la chasse aux sorcières ?

Je me dois de rappeler au président de la République qu’on ne fait pas d’omelette sans casser les œufs. Faire la chasse aux sorcières équivaut-il à laisser prospérer les voleurs, les prédateurs, les bourreaux impénitents ? Faire la chasse aux sorcières signifiet-il accorder à tous les animateurs véreux des institutions le loisir de poursuivre leur sale besogne, en les réhabilitant au sein d’un régime censé mettre fin à la délinquance ? Le président Félix-Antoine Tshilombo Tshisekedi doit commencer par là. Mon message traduit l’opinion de la majorité du peuple congolais. L’opinion de la « base ». L’opinion du peuple souverain.

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