Dans un entretien exclusif au journal l’Express, Mgr Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa, précise ce qu’il attend d’un président en panne de légitimité démocratique.
Ce vendredi 29 mars à 20h00, Mgr Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), sera l’un des trois invités d’honneur de la “Nuit des Témoins”, veillée de prière animée à la cathédrale Notre-Dame de Paris par la fondation Aide à l’ Eglise en détresse (AED). en hommage aux chrétiens persécutés. Il s’agira de la cinquième et dernière étape d’un tour de France passé par Strasbourg, Nice, Coutances et La Rochelle. Au côté du prélat congolais figureront Mgr Theodore Mascarenhas, évêque auxiliaire de Ranchi et secrétaire général de la Conférence épiscopale indienne, ainsi que Soeur Mona Aldhem, religieuse de la congrégation des Soeurs de la Charité de Sainte Jeanne-Antide Thouret, en Syrie.
S’il a succédé le 1er novembre 2018 au très charismatique et très politique Laurent Monsegwo, Mgr Ambongo ne renie en rien la tradition d’engagement temporel de l’Eglise congolaise. Marraine et garante de l’accord de la Saint-Sylvestre millésime 2016, censé orchestrer le retrait du président sortant Joseph Kabila, parvenu alors au terme de son second mandat, la Conférence épiscopale (Cenco) a clairement dénoncé la mascarade électorale du 30 décembre dernier. Laquelle porta au sommet de l’Etat, sous la férule du clan Kabila, l’ “opposant préféré” Félix Tshisekedi, et ce aux dépens de Martin Fayulu, pourtant arrivé nettement en tête dans les urnes. Dans l’entretien qui suit, le prélat dessine sans langue de bois ni de buis le chemin escarpé qui peut permettre à l’ex-Zaïre de sortir de l’ornière.
L’Express : Trois mois après, tout le monde semble s’accommoder, en Afrique comme ailleurs, du tour de passe-passe du 30 décembre 2018. Qu’en est-il de vos concitoyens ?
Mgr Fridolin Ambongo : Le peuple congolais se sent frustré. Il avait été préparé et accompagné depuis au moins trois ans par l’Eglise catholique, via un vaste programme d’éducation civique électorale qui a sans nul doute porté ses fruits. Mes compatriotes ont pris leurs responsabilités. Ils voulaient un changement et se sont exprimés dans les urnes en ce sens. Celui qui a été élu, c’est bien Martin Fayulu, avec plus de 60% des suffrages. Mais le président Kabila, qui redoutait probablement le vainqueur, a de facto désigné Félix Tshisekedi à la présidence. Au sein de l’Église, nous n’avons pas mâché nos mots, qualifiant ce procédé de “déni de vérité”.
Toute la question maintenant est de savoir comment gérer les conséquences de ce déni. D’autant que les grandes démocraties occidentales ont avalisé la chose. Certes, le ministre français des Affaires étrangères [Jean-Yves Le Drian] fut le premier à dénoncer le fait accomplib. Mais après, d’autres considérations ont à l’évidence pris le dessus. Ce qui est très regrettable. Car on ne peut pas bâtir une nation sur le mensonge.
Félix Tshisekedi reste-t-il à vos yeux l’otage de la “Kabilie” ?
Notre grande préoccupation porte sur la marge de manoeuvre du nouveau président. Les deux chambres du parlement, l’Assemblée nationale et le Sénat, sont dominées à hauteur de plus des deux-tiers des sièges par les hommes de l’ancien régime, que le peuple a rejetés. Or, la constitution stipule que le parti majoritaire propose le nom du Premier ministre. Ce qui signifie que le système Kabila va aussi dominer le gouvernement. Si le chef d’État en titre n’a aucun contrôle sur le parlement ni sur le cabinet, et pas davantage sur la Cour constitutionnelle ou la Commission électorale, comment pourrait-il diriger ? Comment faire en sorte qu’il devienne un vrai président, avec tous les attributs de sa charge ?
La coalition d’opposition Lamuka, qui s’était rangée derrière Fayulu, semble se déliter. Aurait-elle lâché sa figure de proue ?
Lamuka était davantage une alliance électorale qu’une plate-forme politique. Il est naturel qu’au lendemain des scrutins, ses responsables se retrouvent pour penser l’avenir de cette mouvance. Ce qu’ils ont fait à Bruxelles [du 21 au 23 mars]. Nous pensons qu’ils pourront continuer à fonctionner ensemble pour que vivent une vraie opposition et la chance d’une alternance authentique. Cela posé, le risque de fracture existe. Nous avons-nous aussi entendu les déclarations de [l’ex-gouverneur du Katanga] Moïse Katumbi, beaucoup plus proche de “Félix” que [l’ancien vice-président] Jean-Pierre Bemba. Comment vont-ils désormais cohabiter ? Il y a lieu de s’interroger.
Au sein même de l’épiscopat, des dissensions sont apparues. Six des huit évêques du Kasaï, fief historique des Tshisekedi, ont salué son élection, quitte à désavouer la Cenco. Que reste-t-il de cette fissure ?
Nous avons tenu le mois dernier notre réunion du Comité permanent des évêques du Congo. Ce qui nous a donné l’occasion de nous pencher sur ce qui a pu apparaître comme une division en notre sein. En réalité, il n’y a pas eu de litige. Nos confrères du Kasaï ont agi en pasteurs de leur peuple. Chez eux, Félix l’a emporté, et les gens de cette région n’ont vu que cela. Ils ne parvenaient pas à comprendre qu’à Kinshasa, on dise le contraire. Confrontés à cette réalité, les évêques ont eu peur que les églises soient attaquées, d’où leur déclaration. A l’issue de nos travaux, un message, signé par tous les membres de la conférence, a clôturé une fois pour toutes cet épisode.
Vous tendez à imputer les maux de la RDC aux convoitises suscitées, à l’étranger, par son formidable potentiel naturel. N’est-ce pas exonérer un peu vite les décideurs locaux ?
Tous les conflits qui ont affecté et affectent le pays ont un point commun : la volonté de mettre la main sur ses ressources naturelles. Aucun de ceux qui nous ont gouvernés jusqu’alors n’est parvenu au pouvoir par la volonté du peuple. Des mains noires les ont portés au sommet. Il ne s’agit pas de laver nos dirigeants de toute responsabilité. Mais il se trouve qu’ils se comportent d’ordinaire en gouverneurs, car ils ont des comptes à rendre à ceux qui les financent et assurent leur sécurité. Partout dans le monde, l’homme est avide de ressources minières. Chez nous, hélas, rien n’est laissé pour le service de la population. Là est la responsabilité de nos dirigeants
Avez-vous rencontré Félix Tshisekedi depuis son “élection” ?
J’ai été invité à assister à son investiture, mais j’ai refusé d’y aller pour une raison simple : je ne peux pas d’un côté dire que les élections sont truquées, et de l’autre parader devant mes concitoyens comme si je cautionnais ce qui vient d’être fait. Depuis lors, la conférence épiscopale a noué le dialogue avec le président de la République. Il est là, nous devons faire avec lui. Non pas en tant qu’individu, mais en tant qu’institution. A mon retour à Kinshasa, j’aurai sans doute l’occasion de le rencontrer pour échanger en tête-à-tête.
Échanger pour lui dire quoi ? Qu’attendez-vous de lui ?
Qu’il n’oublie pas d’où il vient. Il vient de l’opposition, il est le fils d’Etienne Tshisekedi, qui s’est battu toute sa vie pour l’intérêt supérieur de la population. Maintenant qu’il est là, qu’il serve ce peuple.
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