Plusieurs amendements à la Constitution de 2014 ont été adoptés par le Parlement égyptien. Des changements qui renforcent encore un peu plus l’hyper-pouvoir du président al-Sissi.
Chants patriotiques et petits drapeaux disposés dans l’enceinte du Parlement : la session plénière de ce mardi à laquelle la presse étrangère n’a pas été autorisée à couvrir n’était pas ordinaire. Et pour cause. Tout l’après-midi, les 596 députés de l’institution ont dû se prononcer sur une révision de la Constitution de 2014. Plusieurs amendements avaient en effet été proposés en février par un bloc parlementaire soutenant activement le chef de l’État. Ils sont désormais actés. Et renforcent, de fait, le pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi.
Les nouveaux articles 140 et 241 lui permettent d’étendre son deuxième mandat de quatre à six ans, portant ainsi son terme à 2024 au lieu de 2022. Le chef de l’État pourra donc se présenter en 2024 à un troisième mandat de six ans. Jusqu’à aujourd’hui, la Constitution limitait le nombre de mandats à deux, de quatre ans chacun. La révision constitutionnelle doit également accroître le contrôle du pouvoir judiciaire par l’exécutif et institutionnaliser le rôle politique de l’armée, pilier du régime. Exemple : l’article 185 octroie désormais au président le pouvoir de nommer les autorités judiciaires pour une période de quatre ans, ou jusqu’à l’âge de leur retraite.
« Stabilité politique et économique »
Avec cette révision – qui précise en outre qu’au moins un quart des sièges soient alloués à des femmes , le président franchit un nouveau seuil dans sa stratégie de l’hyper-pouvoir, qui a connu un tournant l’année dernière. Fin 2017, l’heure du dépôt des candidatures sonne pour le scrutin présidentiel. Plusieurs politiques se déclarent, à l’instar des deux figures du sérail militaire Ahmed Chafik et Sami Anan. Mais un à un, les potentiels candidats à l’élection présidentielle jettent l’éponge. Le défenseur des droits de l’homme Khaled Ali avait même déploré qu’à l’annonce de sa candidature en novembre une vague d’arrestations ait ciblé un grand nombre de ses militants. Le candidat président se retrouve donc face à un seul rival, Moussa Mostafa Moussa, relégué au rang de faire-valoir. Al-Sissi remporte logiquement l’élection avec plus de 97 % des voix, avec un taux d’abstention de 41,5 %.
Cette élection a considérablement consolidé son pouvoir dans le pays. Face aux éventuelles critiques occidentales, Al-Sissi répond en donnant toujours les mêmes arguments : il est le seul à garantir la stabilité en Égypte et à lutter efficacement contre le terrorisme. « De façon insidieuse, Abdel Fattah al-Sissi agite le spectre du chaos libyen, explique au Point Afrique Anne-Claire Bonneville, auteure de Histoire de l’Égypte moderne : l’éveil d’une nation (XIXe-XXIe siècle). Autrement dit, il fait miroiter l’idée que, s’il laisse le pays s’exprimer, s’il cède aux revendications du peuple, la stabilité de l’Égypte s’en verra menacée. » Une stratégie du raidissement qui lui vaut de graves accusations de violations des droits humains. Torture, disparitions forcées, record d’exécutions capitales, emprisonnement d’opposants, musellement de la presse… Une situation sociale qui fait dire à Anne-Claire Bonneville qu’il y avait « plus de libertés à l’époque de Moubarak ».
Mais les partisans du chef de l’État au Parlement maintiennent, coûte que coûte, que la révision constitutionnelle s’avère indispensable à la stabilité politique et économique du pays. « La Constitution de 2014 a été rédigée dans des circonstances difficiles, exceptionnelles », a expliqué à l’AFP Mohamed Abou Hamed, un député ardent promoteur de la réforme. Selon lui, al-Sissi « a pris d’importantes mesures politiques, économiques et sécuritaires [et] doit poursuivre ses réformes ». Comptant moins d’une vingtaine de députés, la petite alliance d’opposition, le bloc « 25-30 », a appelé, elle, les Égyptiens à rejeter cette révision.
Des dénonciations à l’étranger
Ce vote au Parlement égyptien intervient à contre-courant du climat régional de ce début d’année. Au Soudan voisin, Omar el-Béchir, au pouvoir depuis trois décennies, a été renversé le 11 avril au terme d’une contestation populaire. En Algérie, le refus du 5e mandat d’Abdelaziz Bouteflika a provoqué des manifestations de rue inédites et la démission du président le 2 avril. « Après la chute de Bouteflika en Algérie et d’el-Béchir au Soudan […], n’avons-nous pas appris la leçon ? » a ironisé sur Twitter Haitham El-Hariri, jeune député membre de l’opposition.
Mais cette opposition à la révision constitutionnelle reste presque exclusivement cantonnée aux réseaux sociaux. Et même si le bloc « 25-30 » appelle au rejet de cette révision, l’écrasante majorité des médias de masse, en particulier la télévision, relaye le discours des soutiens du président Sissi, diabolisant les voix critiques, qui vivent généralement en exil. Ce mardi, les acteurs égyptiens Amr Waked et Khaled Abol Naga ont dénoncé depuis Paris la réforme de la Constitution. « Ces amendements font revenir l’Égypte à une dictature digne du Moyen Âge », a déclaré Amr Waked lors d’une conférence de presse dans les locaux de la Ligue des droits de l’homme. Fin mars, le Syndicat égyptien des acteurs leur a interdit d’exercer en Égypte, les accusant de « haute trahison ».
La semaine dernière, c’est l’ONG Human Rights Watch (HRW) qui a appelé le Congrès américain à ne pas donner son « feu vert à la répression » en Égypte. Abdel Fattah al-Sissi était alors en visite à Washington, où il a rencontré son allié américain Donald Trump. Selon HRW, le « projet de réforme constitutionnelle […] institutionnalise davantage l’autoritarisme ». « S’ils étaient adoptés, ces amendements constitutionnels aggraveraient la crise dévastatrice des droits humains » dans le pays, a aussi dénoncé Amnesty International.
Malgré les polémiques, le potentiel maintien du président au pouvoir jusqu’en 2030 est désormais acté par le Parlement. Aucune date n’a encore été officialisée pour la tenue de la consultation populaire. Mais les banderoles appelant le peuple à participer et à voter en faveur de cette réforme ont déjà, ces dernières semaines, envahi les rues du Caire.
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