Syrie : avec la chute de Baghouz, Le « Califat » de l’EI totalement éliminé

Les Forces démocratiques syriennes, l’alliance soutenue par les Occidentaux, ont annoncé que « le soi-disant califat a été totalement éliminé ».

L’organisation Etat islamique (EI) a toujours des armes et des hommes mais il n’a plus de califat. Près de cinq ans après son surgissement sur la scène internationale, le mouvement djihadiste a perdu le dernier lambeau de son sinistre empire, ce « Sunnistan » à cheval sur la Syrie et l’Irak et dont Rakka et Mossoul, tombées en 2017, étaient les capitales.

Ultime réduit, le village de Baghouz, aux confins sud-est de la Syrie, a été repris samedi 23 mars, après des semaines de combats erratiques, par les Forces démocratiques syriennes (FDS), l’alliance kurdo-arabe soutenue par la coalition internationale anti-EI, conduite par les Etats-Unis. « Baghouz a été libérée, a écrit sur Twitter Mustafa Bali, porte-parole des FDS. La victoire militaire sur Daech [l’acronyme arabe de l’EI] a été remportée. Le soi-disant califat a été totalement éliminé », a-t-il encore indiqué.

L’annonce était attendue depuis plusieurs jours. Les FDS voulaient passer la zone au peigne fin, déminer notamment les derniers engins explosifs, avant de proclamer victoire. A la date du 18 mars, soit après deux mois de combats, la coalition arabo-kurde recensait 82 morts et 61 blessés dans ses rangs, contre 1 306 morts au sein de l’EI.

Niché dans un coude du fleuve Euphrate, non loin de la frontière irakienne, Al-Baghouz est un village agricole d’environ un kilomètre carré. Au fur et à mesure de la déroute de l’EI, des dizaines de milliers de ses combattants, accompagnés de leur famille, avaient trouvé refuge dans ce bout du monde, dans un enchevêtrement de maisonnettes, de tentes en bâche de plastique et d’épaves de véhicules abandonnés.

C’est là que s’est joué le dernier acte de la guerre contre la « multinationale » djihadiste, qui à son apogée faisait régner la terreur sur un territoire grand comme trois fois la Belgique. Une partie écrite d’avance : les partisans d’Abou Bakr Al-Baghdadi, le « calife » autoproclamé de l’EI qui est toujours introuvable, étaient encerclés : par les FDS, mais aussi par l’armée syrienne, déployée sur la rive opposée du fleuve, ainsi que par les forces irakiennes et ses supplétifs chiites, installés plus au sud, de l’autre côté de la frontière.

Les FDS, dont le commandement est noyauté par les YPG (Unités de protection du peuple), la branche armée du PYD (Parti de l’union démocratique), la for­mation kurde dominante dans le Nord syrien, ont lancé leur offensive en septembre 2018. Ses combattants ont progressé lentement dans la province de Deir Ez-Zor, en direction de Baghouz, leur cible, en ratissant tous ses alentours. La bataille finale a été lancée à la fin du mois de janvier et personne n’imaginait alors qu’elle durerait aussi longtemps.

Plusieurs facteurs ont contribué à ralentir les combats. Le réseau de tunnels et de tranchées creusés par les irréductibles de l’EI leur a permis de résister, plus longtemps que prévu, aux bombardements de la coalition, l’aviation américaine en premier lieu mais aussi l’artillerie française, déployée côté irakien. L’entassement dans cette nasse de dizaines de milliers de civils, des femmes et des enfants de combattants mais aussi de simples résidents de la région, pris au piège des combats, a contraint les assaillants à multiplier les trêves pour les faire sortir au compte-gouttes. Le fait que les extrémistes de l’EI détenaient des FDS prisonniers a aussi pesé sur les combats. Certains ont pu être libérés, même si les miliciens ont toujours nié avoir négocié avec les djihadistes.

Le danger djihadiste existe encore

Baghouz, à l’est de la Syrie.
Baghouz, à l’est de la Syrie

Pour autant, si elle scelle la fin du califat, la chute de Baghouz ne met pas un terme au danger djihadiste en Syrie et en Irak. A défaut de contrôler des pans de territoire, le mouvement dispose encore de cellules, dispersées dans le désert, qui se sont déjà converties à l’art de la guérilla. Entre la mi-décembre et la fin février, le groupe a mené quelque 180 attaques en Syrie. Plus de 600 personnes ont été tuées ou blessées, dont quatre Américains morts à Manbij, dans le nord du pays, d’où l’organisation avait pourtant été chassée à l’été 2016.

Ces attaques entretiennent la peur d’une résurgence de l’EI en Syrie, à l’image de la résilience dont elle fait preuve en Irak. Quinze mois après que le premier ministre irakien d’alors, Haïder Al-Abadi, a annoncé une « victoire finale » contre le « califat », il ne se passe pas une semaine, parfois un jour, sans que l’EI se manifeste par un attentat, un assassinat et une prise d’otage.

En Syrie, en plus de la vallée de l’Euphrate, le groupe est présent dans la province d’Idlib, dans le nord-ouest du pays, contrôlée par l’opposition, et dans les régions gouvernementales, au sud de la capitale, Damas, et dans la région de la Badiya, une vaste étendue de désert dans le sud-est du pays.

Selon l’ONU, l’organisation terroriste continue de générer des revenus grâce à ses activités criminelles et dispose d’un butin de guerre encore difficilement quantifiable : entre 50 millions et 300 millions de dollars. Largement de quoi financer l’activité de ses cellules urbaines, tout comme son « retour au désert », tel que le théorise l’EI. Une référence à l’époque charnière qui a vu l’organisation se replier dans les confins du Nord irakien après avoir été chassée des villes dans les années 2008-2010, avant de repasser à l’offensive trois ans plus tard.

L’absence de reconstruction après cinq ans de bataille, les 33 000 frappes aériennes de la coalition, et le fait que les régions reconquises demeurent sous le contrôle des forces à majorité kurde, étrangères au lieu, n’incitent pas non plus les observateurs à l’optimisme. Quant aux camps où les naufragés de Baghouz ont échoué, dans le Nord syrien, des enclos où s’entassent des dizaines de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, dans un dénuement extrême, ils apparaissent comme des bombes à retardement.

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