RDC : Dr. Katoka ben Kasongo « Il est important de tenir compte de potentielles externalités liées à la mise en œuvre de la gratuité »

Dans une interview accordée au quotidien Le Potentiel, le Dr Katoka ben Kasongo, professeur et chercheur à l’Université de Hankuk en Corée du Sud, s’est penché sur la mesure portant gratuité de l’enseignement mise en application depuis septembre 2019. Deux ans après, le professeur Katoka a estimé que le gouvernement central a intérêt à procéder périodiquement à l’évaluation de cette mesure. Cela, d’autant plus que l’évaluation est, selon lui, le socle de la réussite de toute politique publique. Pour ce chercheur à l’Université de Hankuk en Corée du Sud, quoique cette mesure vise particulièrement l’augmentation du taux de scolarisation, il est important de tenir compte de potentielles externalités liées à sa mise en œuvre. À l’en croire, l’idéal aurait été d’augmenter la capacité d’accueil des écoles publiques, l’enveloppe salariale des enseignants, de penser au recrutement et à la formation de nouveaux enseignants avant la mise en application de cette mesure. Il a également invité le gouvernement congolais à penser comment un enfant d’Ingende, de Dimbelenge, de Faradje ou de Lupatapata devrait avoir accès à la même qualité d’enseignement qu’un enfant de la Gombe à Kinshasa. En établissant un parallélisme entre la RDC et la Corée du Sud dans le secteur de l’éducation, le professeur Katoka a convié le gouvernement congolais à viabiliser les départements d’études ou de recherches au sein de chaque ministère, à promouvoir le recrutement des chercheurs qualifiés et à financer la recherche scientifique.

C’est depuis septembre 2019 que la gratuité de l’enseignement est mise en application sur toute l’étendue du territoire national. Pensez-vous qu’il est nécessaire aujourd’hui de procéder à l’évaluation de cette mesure deux ans après sa mise en application?

Elle peut être effectuée périodiquement dans le but de quantifier les performances dans l’atteinte des objectifs d’un programme précis. Bien que la mesure portant gratuité de l’enseignement vise particulièrement l’augmentation du taux de scolarisation, il est important de tenir compte de potentielles externalités liées à sa mise en œuvre. L’impact sur la qualité de vie des enseignants en est une.

Parler de la gratuité et de son impact sur la qualité de vie des enseignants congolais ne serait pas trop demander à l’État congolais en ce moment ?

Par la qualité de vie des enseignants, je fais allusion aux conditions de travail, au traitement, à l’accès aux soins de santé de qualité. En Corée du Sud où j’exerce, par exemple, les écoles primaires publiques sont aussi gratuites. Les standards d’infrastructures, d’équipements et de traitements sont identiques pour tous les établissements publics. Les salaires des enseignants des écoles primaires sont comparables à ceux des professeurs d’université ou autres hauts fonctionnaires de l’administration publique.

Le ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique, Tony Mwaba, a fait savoir qu’avec cette mesure portant gratuité de l’enseignement en RDC, 4 millions d’enfants ont regagné le chemin de l’école. N’est-ce pas une avancée ?

C’est une très bonne chose en effet. Cependant, pour tout expert en politique publique, 4 millions n’est qu’un nombre et ne représente pas l’impact réel de la gratuité scolaire. En principe, pareilles déclarations devraient avoir comme sous bassement une évaluation d’impact établissant un lien de causalité entre la gratuité de l’enseignement et le changement dans le taux de scolarisation. En outre, il est à noter que certains parents ont choisi d’inscrire leurs enfants dans des établissements privés où les frais scolaires sont de loin plus élevés. Connaître la proportion des parents qui ont fait ce choix est tout aussi important pour mieux appréhender l’impact de la gratuité scolaire.

Pour certains experts dans l’enseignement congolais, parler d’une préparation économique avant la mise en application de cette mesure ne devrait pas faire débat, car les enseignants congolais ont toujours été pris en charge par l’État, bien qu’aujourd’hui, les défis soient énormes. Il y a, d’ailleurs, des pourparlers qui seraient en cours en vue de permettre à l’enseignant de vivre de son salaire. Qu’en dites-vous?

Je comprends bien le souci de nos dirigeants. Mais je pense que si nous voulons faire avancer notre pays, nous devons cesser de mettre la charrue avant le bœuf. L’idéal aurait été d’augmenter la capacité d’accueil des écoles publiques, augmenter l’enveloppe salariale des enseignants, penser au recrutement et à la formation de nouveaux enseignants avant la mise en application de cette mesure de gratuité.

Puisque tel n’est pas le cas, quelles solutions préconisez-vous en votre qualité de chercheur, docteur et analyste en politique publique ?

Je saisis cette occasion pour lancer un appel au gouvernement congolais afin d’adopter des politiques publiques fondées sur des données factuelles de leur construction à leur mise en œuvre et enfin à leur évaluation. Les politiques publiques devraient s’appuyer sur l’expertise scientifique. En outre, une question essentielle à laquelle le gouvernement devrait apporter une réponse concrète est la suivante : comment un enfant d’Ingende, de Dimbelenge, de Faradje ou de Lupatapata devrait avoir accès à la même qualité d’enseignement qu’un enfant de la Gombe à Kinshasa.

En établissant un parallélisme entre la République démocratique du Congo et la Corée du Sud dans le secteur de l’éducation, vous avez évoqué le rôle de la recherche scientifique dans les politiques publiques coréennes. Que doit faire le gouvernement congolais dans le secteur de l’éducation ?

En Corée du Sud, le gouvernement consacre annuellement des centaines de millions de dollars à des programmes de recherche. Le secteur de l’éducation est parmi les plus grands bénéficiaires de ces fonds. Aussi, le parlement coréen compte un département d’études composé de près d’une centaine de scientifiques détenant chacun un doctorat. Ces derniers servent de consultants internes pour guider les projets de loi proposés dans le parlement coréen. La Corée du Sud est un pays où le rôle de la science dans les politiques publiques a bien fait ses preuves! Notre gouvernement devrait viabiliser les départements d’études ou de recherches au sein de chaque ministère, promouvoir le recrutement des chercheurs qualifiés et financer la recherche.


le Potentiel/ Provinces26rdc.net

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