RDC : Le retour des Bakata Katanga

Selon l’Institut de recherche et droits humains (IRDH) de Lubumbashi, trois nouvelles incursions des sécessionnistes Bakata Katanga ont eu lieu ces derniers mois à Lubumbashi, capitale de la province du Haut-Katanga (Sud-Katanga).

Le rapport parvenu à La Libre Afrique, intitulé « Menace récurrente à la paix et à la sécurité dans le Haut-Katanga », est signé par Me Hubert Tshiswaka, directeur général de l’IRDH, qui a rejoint depuis quelques mois l’équipe de Félix Tshisekedi en tant que conseiller au sein du Mécanisme national de suivi de l’Accord d’Addis Abeba à la Présidence.

Il indique que le 11 octobre dernier, des miliciens sécessionnistes Bakata Katanga (« couper le Katanga », sous-entendu: du reste du Congo) ont fait irruption à Lubumbashi, où ils se sont heurtés à la police. Bilan: six miliciens tués par balles et trois policiers blessés à la machette.

Selon une commission d’enquête locale, ajoute le rapport, les miliciens « portaient des effigies de Gédéon Kyungu, ainsi que des cartes de membres » de son parti, le Mira. C’est « la troisième » incursion de ce type cette année, après celle survenue le 11 juillet (anniversaire de la Sécession katangaise en 1960) et une autre en septembre. Ce 11 juillet, écrit l’IRDH, une soixantaine de miliciens Bakata Katanga munis d’armes à feu et réclamant la sécession du Katanga « avaient attaqué les quartiers Kalebuka et Kamasaka, commune Annexe. La riposte de l’armée avait causé une dizaine de morts du côté des miliciens ».

Miliciens débandés et combattants sécessionnistes

Pour comprendre, il faut revenir en arrière. On sait que les Bakata Katanga sont constitués de restes débandés des « Forces populaires d’autodéfense », créées par feu Laurent Kabila en 2000, et d’anciens combattants sécessionnistes. Gédéon Kyungu est issu du premier groupe. Il sema la terreur dans son Nord-Katanga natal en attaquant des villages et en pratiquant le cannibalisme à la tête d’une troupe de miliciens de son acabit, en particulier entre 2003 et 2006. Condamné à mort en 2009, il retrouva la liberté en septembre 2011 grâce à une spectaculaire évasion de la prison de la Kasapa, en compagnie d’un millier de détenus – dont des combattants sécessionnistes issus notament du Corak et des troupes du chef Ntanda Imena.

C’est le 23 mars 2013 que les Bakata Katanga apparaissent sous ce nom lors d’une première incursion à Lubumbashi: de 250 à 400 personnes – hommes, femmes et enfants – venant de Manono (Nord-Katanga, province du Tanganyika), entrent dans la capitale minière du Sud-Katanga, un bandeau aux couleurs sécessionnistes (rouge, vert, blanc) au front, porteurs d’armes traditionnelles et modernes. Ils parcourront une quinzaine de km sans encombre jusqu’au centre ville, applaudis par des citadins dont le cœur est sécessionniste. Lorsqu’ils hissent leur drapeau, des militaires congolais tirent sur eux; il y aura officiellement 35 morts et une cinquantaine de blessés. Les miliciens se réfugient vers les locaux des casques bleus de la Monusco, contre lesquels l’armée continue ses tirs. A l’intérieur, les casques bleus désarment les miliciens, font soigner les blessés. Ils convoieront 226 de ces personnes à Kinshasa quelques jours plus tard.

Le commanditaire serait le général Numbi

Mais avant ce transfert des miliciens désarmés, plusieurs d’entre eux seront interrogés par des organisations de la société civile katangaise. Selon leur rapport du 26 mars 2013, un groupe de Bakata Katanga s’était évadé des locaux de l’ANR (Agence nationale de Renseignements) le 21 mars, pour se réfugier dans une ferme du général John Numbi nommée Beijing. Le général Numbi, chef national de la police, est à ce moment-là suspendu de ses fonctions pour son rôle présumé dans l’assassinat du défenseur des droits de l’homme Floribert Chebeya (la Voix des Sans Voix) et de son chauffeur le 2 juin 2010.

Plusieurs miliciens assurent que leur chef Ntanda Imena est en contact avec le général Numbi, qui leur fournit armes, munitions et stratégies, ainsi qu’avec le gouverneur de la Banque centrale du Congo, Jean-Claude Masangu, qui les finance. Les deux hommes, d’ethnie mulubakat du Nord-Katanga, nient. Proche de Joseph Kabila, Numbi ne sera jamais poursuivi et fait seulement l’objet de sanctions des Etats-Unis et de l’Union européenne; en juillet 2018 il sera même nommé par l’ex-président Kabila inspecteur général de l’armée. Jean-Claude Masangu n’aura pas non plus à s’expliquer.

Accueilli par le gouverneur lors d’une fête

Depuis son évasion, Gédéon Kyungu a repris ses exactions contre les civils du Nord-Katanga. En octobre 2014, l’armée donne l’assaut à son QG près de Moba (prov. du Tanganyika) et y découvre, outre des armes modernes neuves, un équipement de transmission radio de type militaire, émettant sur la fréquence de l’armée – ce qui lui a permis de fuir avant l’assaut.

Le 11 octobre 2016, il « dépose les armes », revêtu d’un T-shirt à l’effigie de Joseph Kabila, lors d’une fête organisée en son honneur par le gouverneur du Haut-Katanga. Depuis lors, indique l’IRDH, il est logé dans une villa du quartier Golf de Lubumbashi, aux frais de l’Etat. Le même jour son groupe armé se transforme officiellement en parti, le Mira, au grand dam des associations de défense des droits de l’homme.

De source de l’Union européenne, en 2017, une partie de ses hommes, officiellement démobilisés, est embarquée en avion, la nuit du 21 au 22 mars, pour participer à la guerre civile au Kasaï, au côté de l’armée. En octobre 2017, 79 « détenus politiques » sont amnistiés par le ministre de la Justice Alexis Thambwé (aujourd’hui président du Sénat) – des hommes de Gédéon, selon les familles des vrais détenus politiques.

Pourquoi ce retour?

Revenons au rapport de l’IRDH. Ce dernier relate les explications différentes données à l’incursion meurtrière à Lubumbashi du 11 octobre dernier (anniversaire du dépôt des armes par Gédéon). Le Mira dit ne rien avoir à voir avec les évéments sanglants, ayant simplement prévu ce jour-là de célébrer le troisième anniversaire de sa création sur la place Moïse Tshombé de Lubumbashi et l’anniversaire (51 ans) de Gédéon Kyungu, le 10 octobre.

L’IRDH relève aussi l’explication soutenue par le politicien autonomiste katangais Gabriel Kyungu (ex-partisan de Kabila, puis ex-adversaire de ce dernier, aujourd’hui rallié au président congolais Félix Tshisekedi, lui-même rallié à Kabila): l’incursion serait une tentative de déstabilisation de politiciens qui veulent faire croire « que le Katanga est mécontent du nouveau régime ».

Enfin, l’IRDH ajoute qu’une troisième explication des faits veut que Gédéon Kyungu ait agi de son propre chef, avec ses miliciens, ayant « compris que la participation à la gestion de la chose publique serait consécutive à une multiplication d’actes barbares », afin de passer pour un homme incontournable pour arriver à la paix et à la sécurité.

Remplacer les militaires défaillants

L’IRDH note que Gédéon Kyungu refait parler de lui à chaque fois qu’approchent des élections: son évasion survient deux mois avant les scrutins de novembre 2011; sa reddition deux mois avant ceux qui auraient dû avoir lieu en décembre 2016. Selon le rapport, le tueur, aujourd’hui, « caresse l’idée de présenter des candidats et gagner des sièges aux législatives nationales et provinciales en 2023 ».

L’IRDH s’interroge sur l’immobilisme du ministre de la Défense actuel, l’ex-gouverneur du Katanga Aimé Ngoy Mukena, et sur celui de plusieurs responsables militaires, dont le général Numbi, « une des rares autorités militaires qui traitent du dossier de Kyungu Gédéon et des autres groupes armés du Nord-Katanga depuis la création des FAP » en 2000. Le rapport recommande au gouverneur du Haut-Katanga de solliciter le renouvellement des autorités militaires provinciales défaillantes et au Mira de « collaborer avec les nouveaux animateurs de l’Etat », en place depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, pour « lever l’équivoque sur l’accusation d’atteinte à la paix et à la sécurité dans le Haut-Katanga ».

La libre/Provinces26rdc

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