De nombreux spécialistes envisagent la possibilité pour l’Afrique de gagner des dizaines de milliards de dollars, d’ici à 2030, grâce à l’échange de crédits d’émission de carbone. Mais la rhétorique peut-elle correspondre à la réalité ?
La déclaration de Nairobi adoptée en septembre 2023 appelle à l’adoption d’un régime mondial de taxe sur le carbone, une politique qui constituera la base des négociations lors de la prochaine conférence sur le climat, la COP28. La complexité de l’approche de l’Afrique en matière de financement du climat est passée presque inaperçue lors du sommet de Nairobi, où les manifestants pour le climat ont dénoncé les projets des gouvernements africains de vendre des crédits carbone à des pays étrangers, que ce soit par le biais de marchés du carbone obligatoires ou volontaires, régis par l’article 6 de l’accord de Paris.
Les marchés internationaux du carbone permettent aux pays et aux entreprises de générer et d’échanger des crédits carbone, dont chacun correspond à une tonne métrique vérifiée de gaz à effet de serre (GES) réduite, évitée ou éliminée de l’atmosphère. Ces crédits permettent aux émetteurs de carbone de compenser leurs émissions en achetant des crédits carbone émis par des projets.
Les marchés africains ne disposent pas des cadres institutionnels et de gouvernance nécessaires, notamment des organismes régionaux de validation et de vérification, et ont des difficultés à impliquer le secteur privé.
La question qui circule est de savoir si, derrière le battage médiatique, l’échange de droits d’émission de carbone n’est qu’une nouvelle astuce du marché financier pour monétiser les émissions en vue d’en tirer des bénéfices. Les partisans de l’échange de droits d’émission de carbone, dont fait partie le président William Ruto, affirment que ce procédé permettrait de débloquer des milliards de dollars de fonds indispensables pour lutter contre le changement climatique en Afrique, notamment en impliquant des capitaux privés dans une relation gagnant-gagnant.
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), d’ici 2030, l’Afrique a besoin de 200 milliards $ d’investissements par an pour mettre en œuvre une transition vers l’énergie propre. L’Égypte a lancé le premier marché de ce type en Afrique cette année et il sera intéressant de voir comment il fonctionne.
De graves lacunes éthiques
Le président William Ruto considère les crédits carbone comme les prochaines exportations importantes du Kenya. La ruée vers les crédits africains présente toutefois de graves lacunes en termes de rentabilité éthique, structurelle et socio-financière. Le commerce du carbone est une « innovation » du capitalisme de marché utilisant l’ingénierie financière des crédits de carbone qui permet, selon les termes d’ONG telles que Christian Aid, « aux pollueurs d’opérer en toute liberté sans prendre de mesures significatives ».
La structure d’un marché du carbone implique non seulement des vendeurs et des acheteurs de crédits, mais aussi une longue liste de projets et leurs promoteurs, ainsi qu’une multitude d’intermédiaires et de vérificateurs, ce qui augmente le coût du marché. L’écosystème réglementaire est au mieux fragmenté, au pire opaque.
Même le président Ruto a souligné que pour que les crédits carbone fonctionnent, il faut de la transparence, moins d’intermédiaires et plus d’avantages pour les investisseurs et les communautés locales. Pour générer les milliards de dollars nécessaires pour avoir un impact significatif sur le financement de la lutte contre le changement climatique, il faudrait un solide calendrier annuel de ventes aux enchères.
C’est dans cette optique que le fonds souverain d’Arabie saoudite, le PIF, cible l’Afrique par l’intermédiaire de sa Regional Voluntary Carbon Market Company (société régionale de marché volontaire du carbone). Sa vente aux enchères de 2,2 millions de tonnes métriques de crédits carbone à Nairobi en juin a été, selon le PIF, « la plus grande vente aux enchères volontaire de crédits carbone jamais réalisée », mais elle n’a permis de récolter que 13,8 millions $ de fonds.
Sans une masse critique dans les ventes aux enchères de crédits carbone, les bénéfices générés seront limités. Collectivement, les 54 pays africains ne représentent que 3 % des crédits carbone émis dans le monde à ce jour. Cela soulève la question du partage inégal des bénéfices. De nombreux pays africains sont des vendeurs de crédits carbone.
En revanche, la plupart des acheteurs de crédits sont des entreprises saoudiennes désireuses de soutenir les objectifs de zéro émission du Royaume. Les deux principaux acheteurs de crédits carbone africains sont Aramco, la compagnie pétrolière nationale saoudienne, le plus grand producteur et exportateur de pétrole au monde, et Saudi Electricity Company.
Les marchés africains sont alors en position de faiblesse. Ils ne disposent pas des cadres institutionnels et de gouvernance nécessaires, notamment des organismes régionaux de validation et de vérification, ont des difficultés à impliquer le secteur privé, opèrent dans un environnement d’investissement incertain et dépendent fortement des technologies importées. Le danger est que la rhétorique de l’aspiration soit dépassée par la réalité des limites du marché carbonne. Cela dit, une évaluation par l’AIE du potentiel de l’adoption de l’article 6 par les pays africains a montré que cela pourrait générer entre 225 et 245 milliards $ d’ici à 2030, tout en réduisant les émissions de CO2 de 3 500 à 3 850 Mt. Cela signifie que la mise en œuvre de l’article 6 pourrait générer des flux financiers supérieurs à 20 % des besoins d’investissement dans les énergies propres en Afrique d’ici à 2030.
L’éléphant dans la pièce est que pour participer à l’article 6, les pays africains devront développer de nouveaux cadres institutionnels, des procédures de suivi et des inventaires de GES, ou mettre à jour ceux qui existent déjà, ce qui nécessitera des engagements financiers initiaux considérables.
Netic-News / Provinces26rdc.com
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