Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu a annoncé samedi soir que la seconde phase de la guerre contre le Hamas débutait dans la bande de Gaza, où les troupes israéliennes opèrent au sol depuis vendredi soir. Le nombre de victimes civiles explose et la croix rouge dénonce des « souffrance intolérables ». Peer de Jong, ancien colonel des troupes de Marine et vice-président de l’Institut de formation Themiis est notre invité ce matin pour faire le point sur la situation militaire et diplomatique.
RFI : Comment qualifiez-vous ce à quoi nous assistons dans la bande de Gaza?
Peer de Jong : On va assister à une espèce de guerre totale, qui est totalement inhabituelle pour les Israéliens qui étaient plutôt des adeptes des guerres très courtes. Là, on va vers une guerre totale, et comme l’a dit le Premier ministre israélien, une guerre qui va être longue. Une guerre qui va être destructrice, et c’est peut-être un rôle à contre-emploi qui va être extrêmement destructeur tant pour les soldats israéliens que, évidemment, pour la population gazaouie.
L’armée israélienne dit avoir attaqué « plus de 450 cibles militaires » du Hamas hier, samedi. Quelle stratégie l’armée israélienne semble-t-elle adopter à l’heure qu’il est et depuis vendredi ?
Il y a deux impératifs pour Tsahal : le premier, c’est de préserver ou de libérer les otages le plus vite possible. Et le deuxième, c’est de préserver les effectifs puisque c’est une armée qui n’est pas pléthorique. C’est pour ça qu’on voit bien que suite au discours du Premier ministre hier, il y a trois phases qui se mettent en place. La première, c’est une phase de destruction qui est quasiment terminée. Il y a une deuxième phase qui est une phase d’exploitation, c’est celle qui a commencé avant-hier. Et puis, il y aura une phase de reconstruction. Et dans cette phase d’exploitation, on voit que les modes d’action de Tsahal ne sont pas des modes d’action habituels ou linéaires, tels qu’on peut les voir entre l’Ukraine et la Russie. Ce sont des modes d’action qui vont viser à mettre en place des tirs d’artillerie ou des tirs d’appui extrêmement massifs. Ce qu’on appelle chez les Américains le carpet bombing : ils vont tout détruire quelque part. Derrière, ils vont exploiter avec des coups de sonde, avec des raids blindés, pour détruire des résistances résiduelles ou éventuellement pour libérer des otages, s’ils arrivent à le faire.
Quelles sont les capacités de résistance du Hamas face à cette offensive ? On sait qu’Israël cible notamment les tunnels dans ses frappes aériennes, qui sont le fer de lance de la défense du Hamas, mais est-il possible d’éliminer complètement cette menace des souterrains ?
Ça me paraît difficile parce qu’il y a deux combats. Le premier, c’est le combat aérien, le combat au premier étage, je dirai, c’est le combat sur le sol. Et puis, après, vous avez une deuxième guerre qui se prépare, c’est la guerre dans les sous-sols, la guerre dans les tunnels, qui n’a pas commencé, et donc c’est ça le vrai sujet. Le deuxième point, c’est quelle est la capacité de résistance du Hamas ? Elle est très importante pour deux raisons : d’abord, ils sont préparés, ils connaissent le terrain, ils sont entraînés, ça, c’est évident. Ensuite, il y a une espèce d’esprit de sacrifice extrêmement important. Donc, encore une fois, ce n’est pas une guerre qui va être très facile pour Tsahal. Encore une fois, ça va être destructeur. C’est pour ça que la stratégie aujourd’hui des Israéliens est d’économiser les objectifs et de mettre en place une espèce de tapis de bombes pour éviter que les soldats aient trop de pertes, et éventuellement exploiter au fur et à mesure.
Est-ce qu’au même titre qu’Israël s’est fait surprendre le 7 octobre, l’armée pourrait être surprise aujourd’hui sur le terrain ?
Je ne crois pas, parce que l’on voit bien que depuis trois semaines, ils ont pris toutes les mesures. Il y a une espèce de guerre du renseignement extrêmement puissante. Je ne pense pas qu’ils puissent se faire surprendre. Je pense que le choc du 7 octobre a été tel qu’aujourd’hui l’armée israélienne est particulièrement motivée également pour aller dans Gaza. Je pense que c’est quasiment un choc idéologique. En tout cas, c’est un choc qui vise à détruire définitivement le Hamas, qui est quand même une structure terroriste, il ne faut pas l’oublier : ils ont pris 229 otages dont un bébé. Donc, on est vraiment sur un modèle de survie pour les Israéliens. Ils ne peuvent pas laisser le Hamas derrière eux. L’objectif, c’est clairement de détruire le Hamas et d’éviter qu’il puisse ressurgir de ses cendres.
Hier, on évoquait des centaines de bâtiments, d’immeubles détruits à Gaza dans ces nouvelles frappes israéliennes. Le Hamas affirme que de nombreux Gazaouis ont été tués hier et cette nuit. Ce matin, on apprend qu’internet est en cours de rétablissement dans l’enclave après plus de 24 heures de coupure quasi-totale. Est-ce que l’armée israélienne avait un intérêt à empêcher pendant ces 24 heures les images de Gaza de nous parvenir ?
Oui, parce qu’il y a une guerre de l’information qui est extrêmement importante, et évidemment, il fallait empêcher ces images de parvenir. La deuxième chose, c’était pour éviter surtout que le Hamas communique par les réseaux sociaux, par le système internet et par ces moyens de communication. Donc, il fallait tout arrêter. Maintenant, ils ont rouvert, et pourquoi ils ont rouvert ? Parce que le Hamas va rediscuter. La population va discuter entre elle, les réseaux sociaux vont re-fonctionner. Ce qui veut dire qu’il va y avoir de l’information à partir de là. Grâce à l’Osint, l’open source intelligence, ils vont pouvoir avoir de l’information et essayer de déterminer les lieux où se trouvent les otages. C’est ça le cœur du problème aujourd’hui.
Il y a aussi la question de l’opinion israélienne qui se pose : les familles des otages sont de plus en plus critiques. On a vu le nom de Benyamin Netanyahu hué hier, samedi, pendant une manifestation de ces familles, elles s’inquiètent du risque que fait peser l’offensive sur leurs proches. Est-ce que le soutien israélien à l’offensive pourrait s’étioler sur cette question ?
C’est le risque majeur que court actuellement Netanyahu et son gouvernement. Bien évidemment, il y a une pression énorme qui va s’exercer sur ce gouvernement à travers son opinion publique, mais également les opinions publiques mondiales. On voit bien que depuis quelques jours, il y a une agitation du « monde musulman » qui vise à exercer la pression non pas seulement en Israël, mais sur l’ensemble de ses soutiens, États-Unis et Europe inclus. Donc, on voit que le problème, c’est qu’il y a une espèce de contradiction entre l’obligation et la nécessité d’avoir une guerre la plus courte possible, et le réalisme qui fait que cette guerre sera longue, comme le Premier ministre israélien a pu l’annoncer.
On a vu hier des manifestations massives un peu partout, notamment à New York, Londres, Istanbul. Israël a rejeté, vendredi, une résolution votée pourtant par 120 pays, une écrasante majorité à l’Assemblée générale des Nations Unies, pour demander une trêve humanitaire. Est-ce que l’État hébreu fait le choix d’ignorer, pour l’instant, la communauté internationale ?
Je pense qu’ils n’ont pas le choix au vu de la problématique des otages qui est une problématique tellement lourde, tellement difficile à gérer. Ils ont fait un choix, comme on dit dans les armées romaines, ils se sont mis en hérisson. Aujourd’hui, l’objectif, c’est de se restructurer et de se défendre. Rappelons-nous qu’Israël est un tout petit pays. La distance qu’il y a entre Gaza et Ramallah, c’est en gros 80 km ; la bande de Gaza, c’est 40 sur 10 ; donc il n’y a pas de profondeur stratégique, ce qui veut dire qu’aujourd’hui, Israël se bat pour sa survie. Et concernant toutes les préconisations qui peuvent venir des Nations unies elles-mêmes complètement dénaturées depuis la guerre en Ukraine – on voit bien que le système onusien est totalement défaillant. Donc aujourd’hui, ils sont sur un modèle plutôt autonome, on verra plus tard comment la diplomatie rétablira les relations d’Israël avec les Nations unies.
Il y a la question du soutien américain : Washington ne veut pas mettre de ligne rouge en Israël, mais dans les faits, jusqu’où l’État hébreu peut-il aller tout en conservant ce soutien américain, indispensable, on l’imagine ?
Encore une fois, ce sont les pertes civiles et les opinions publiques mondiales qui vont déterminer l’aide potentielle ou non des États-Unis ; c’est ça le cœur du problème. Je pense qu’il n’y a pas de limites. Les Américains n’ont pas mis de limites, parce que je pense que tout le monde a un intérêt. On voit bien d’ailleurs que la mise en place de ce groupement naval en Méditerranée, est un énorme gourdin, un énorme big stick comme on dit, est prêt à intervenir, soit sur le Hezbollah, soit sur l’Iran. On voit d’ailleurs bien que l’Iran fait le service minimum.
Le seul pays qui est extrêmement proactif pour le moment, c’est la Turquie, depuis hier, qui manifeste une sorte d’agression verbale vis-à-vis d’Israël qui est extrêmement forte. Mais pour les autres, personne ne bouge, parce que le big stick américain est là. Après, jusqu’où ça ira, on verra. Je pense que ce sont les pertes dans les populations civiles qui détermineront cette transformation des opinions publiques et la réaction par rapport à cette opération militaire israélienne.
RFI / Provinces26rdc.com
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