*Le Grand Kasaï n’est pas un bloc politique monolithique. Ceux qui pensent que cet espace est absolument acquis au Président de la République, Félix Tshisekedi, devraient être assez prudents. Il y a le Kasaï d’en haut, celui des villes, du diamant-roi, de la Miba, des commerçants polyvalents de Mbuji-Mayi et de Tshikapa, des politiciens. Mais, il y a aussi le Kasaï d’en bas, des villages et des milieux ruraux décimés par un marasme économique persistant, des masses de jeunes désœuvrés et désabusés, des laissés-pour-compte des politiques publiques asymétriques, des victimes oubliées des conflits ethniques meurtriers.
Entre les deux Kasaï, celui d’en haut et celui d’en bas, il y a un fossé politique abyssal, qui bientôt servira de théâtre à un affrontement politique farouche, mais loyal, entre différents candidats à la prochaine présidentielle. Si Tshisekedi est quasiment assuré de faire le plein des voix dans le Kasaï d’en haut, l’électorat du Kasaï d’en bas sera plus disputé. Cet article explore la possibilité pour le Dr Mukwege de développer un message politique et une stratégie électorale calibrés spécifiquement pour cet espace.
Le résultat pourrait être une des plus grandes surprises électorales jamais connues dans l’histoire de notre pays. Un état des lieux très contrasté Du temps de sa splendeur, la Miba était la plus grande compagnie du Kasaï Oriental en chiffre d’affaires, et un des fleurons du portefeuille de l’Etat. Mais peu de gens savent que la deuxième compagnie de la région était un complexe agropastoral, la Société d’Elevage du Congo (SEC), basée à Kambayi.
Avec un cheptel d’environ 30.000 têtes de bétail, et des extensions dans le Kasaï Occidental, la SEC était le premier employeur de la région. Pourtant, la politique du gouvernement actuel, comme celle des gouvernements qui l’ont précédé, s’est focalisée principalement sur la relance de la production du diamant, avec un financement public d’un million de dollars par mois à la Miba – véritable gouffre financier -, sans qu’un effort comparable ne soit consenti pour relancer les activités agro-pastorales de la SEC.
Les populations de Kambayi, de Mutokoie, de Tshilunde, de Mulunguyi, de Mazia-Mpata, de Sandoa, de tous les villages environnants et de toutes les contrées qui ont bénéficié du succès économique de la SEC ont conscience de ne pas compter parmi les priorités du gouvernement. C’est tout le drame du Kasaï d’en bas. Une autre compagnie tout aussi importante fut les Messageries Automobiles du Sankuru (MAS), une des plus grandes entreprises de transport routier et de logistique de notre pays.
Avec leur siège social à Kananga, les MAS couvraient un réseau de 12.000 km de routes dans le Grand Kasaï et dans la partie ouest du Katanga. Véritable épine dorsale du développement et de l’intégration du Grand Kasaï, elles assuraient le transport du coton du Sankuru et du Lomami, de l’huile de palme et des noix palmistes, de l’arachide, du café, etc., ainsi que le transport des passagers et du courrier postal.
Si la récente réhabilitation de la SNCC permet une amélioration des conditions de voyage par train dans le Kasaï d’en haut et dans le Katanga, le véritable développement du Grand Kasaï se fera de bas en haut, avec la résurrection des compagnies comme les MAS. Un autre exemple du contraste entre le Kasaï d’en haut et le Kasaï d’en bas concerne la réfection et la construction d’écoles dans le cadre des mesures sensées accompagner la gratuité de l’enseignement.
La grande partie des financements est allée bien souvent vers le Kasaï d’en haut. Par exemple, l’Institut Kalenda Mudishi de Mbuji-Mayi a fait peau neuve alors que l’illustre collège St Jean Berchmans (Institut Untu) de Kamponde n’a pas retenu l’attention du gouvernement. Ce contraste est aussi visible dans les choix asymétriques du gouvernement pour réhabiliter des infrastructures dans le Grand Kasaï. La route Kananga Mbuji-Mayi est la priorité des priorités, mais la route Luiza-Tshimbulu-Kananga n’est pas appréciée à sa juste valeur. Cette route, de seulement 250 km a été l’artère vitale du dynamisme agricole des territoires de Luiza et de Dibaya.
La production bananière, par exemple, était si abondante que les marchés de Kamponde, de Kalangala, de Nguema et d’autres villages étaient débordés. En 1978, deux bananes se vendaient 1 likuta dans ces marchés, alors que 3 bananes se vendaient 100 makutas, ou 1 Zaïre à Kinshasa, soit un écart de prix de 6500%. Le potentiel économique du Grand Kasaï – sans le diamant – n’est pas une utopie ni une chimère. Le dynamisme du Kasaï d’en bas, rural et agropastoral, était sur une pente ascendante avant les mauvaises décisions économiques de la deuxième république et l’indifférence des gouvernements ultérieurs qui se sont succédé.
L’état des lieux de cet espace est aujourd’hui fort contrasté et il n’est pas sûr que cela soit à l’avantage du régime présent. Quel message et quelle stratégie pour le Kasaï d’en bas ? D’abord, il faut mettre en garde contre toute tentation de miser sur une quelconque contradiction ethnique qui serait amorale et contre-productive. Le message du Dr Mukwege devrait se focaliser sur l’avenir du Kasaï d’en bas et proposer des programmes spécifiques qui permettraient de relever tout le Grand Kasaï, sans compter uniquement sur l’économie du diamant : Présenter directement aux populations locales, à Kambayi même, un programme d’investissement pour ressusciter la SEC avec des détails sur l’effet d’entrainement des économies locales. Proposer un programme pluriannuel de réhabilitation et de modernisation de la route Luiza – Kananga aux populations desservies par cette nationale, avec à la clé la redynamisation de l’agriculture, le renforcement des échanges entre les populations locales et l’éradication des rivalités tribales dans cette région.
Esquisser une ébauche de réhabilitation des infrastructures qui permettrait de ressusciter les Messageries Automobiles du Sankuru et les activités agricoles qu’elles soutenaient aussi bien dans le Sankuru et le Lomami, que dans le reste de l’espace Grand Kasaï. Argumenter en faveur d’un programme national d’installation des banques rurales et des institutions de micro-crédit dans les milieux ruraux, à Kamponde, à Lodja, à Tshilomba, etc., selon des modèles de développement qui recommandent la mise à la disposition des paysans des crédits à l’agriculture à des taux préférentiels.
Proposer un plan de restauration du Collège St Jean Berchmans, et d’autres collèges et lycées dans le Kasaï d’en bas. Soutenir le concept de création des intendances générales et des centres de développement intégral dans les diocèses, sur le modèle du CDI-Bwamanda pour redynamiser les économies locales.
Apporter un message d’unité et d’espoir au Grand Kasaï Certes, les leaders locaux sont les mieux indiqués pour apporter le message du Dr Mukwege. Ils connaissent les préoccupations et attentes des populations locales et savent comment connecter avec chaque audience. Mais la campagne du Dr Mukwege devrait aussi envisager d’envoyer des personnalités nationales issues d’autres provinces pour marquer l’ancrage du Grand Kasaï au destin national, et la nécessité de renforcer l’intégration nationale.
Le brassage des cultures est une réalité nationale et nul ne devrait sous-estimer l’apport de la culture kasaïenne dans la culture nationale congolaise. Dans les années précédant la décennie 80, la présence kasaïenne à Kinshasa était plutôt discrète. Mais, un changement fondamental eut lieu, lorsqu’à l’issue des deux guerres du Shaba, des vagues successives de diamantaires moyens s’établirent dans les quartiers populaires de Kinshasa.
Parce que le train de vie des nouveaux venus était inhabituellement élevé et volontairement visible, les Kinois ne tardèrent pas à leur attribuer un identifiant de groupe peu enviable : « Demulu vantard ». Cet identifiant trouva malheureusement un effet amplificateur dans la crise du carburant de la fin des années 70, qui vit la floraison des revendeurs de carburant au marché noir : les Kadhafi. Dans l’esprit des Kinois, les nouveaux venus profitaient de la crise et probablement la prolongeaient, même si ces deux faits n’ont jamais été formellement démontrés. Mais, un deuxième phénomène, plus profond et plus durable, va progressivement supplanter les difficultés des premières rencontres. A mesure que les Kinois et les nouveaux venus apprennent à se connaitre, des échanges sociaux et culturels importants vont avoir lieu.
Par exemple, les écoliers qui saupoudrent leurs têtes de farine quand ils réussissent aux examens d’Etat, cela a commencé dans les familles kasaïennes à Kinshasa. Lors des rencontres festives des Congolais, y compris dans la diaspora, un des moments forts est toujours l’annonce du Mutwashi et la ruée vers la piste des convives. Il faut noter par ailleurs qu’il existe une filiation quasi-directe entre le folklore luba et le blues des esclaves noirs aux Etats-Unis : mêmes lyriques, mêmes rythmes, mêmes mélodies. Dans le domaine des affaires, les soi-disant « Demulu vantard » ont lancé le business des voitures d’occasion venues d’Europe, et ils ont été les plus grands acheteurs des camions allemands MAN, désaffectés de la deuxième guerre mondiale, qui ont dominé le commerce de longue distance à travers tout le pays.
Plus encore, avec l’intégration de ces nouvelles familles, les Kinois ne cacheront pas leur admiration pour la discipline stricte des enfants, foncièrement respectueux, et d’une assiduité scolaire exemplaire, y compris même lorsque que le papa, lui, n’avait pas de conduite irréprochable. D’autre part, dans beaucoup de familles Kasaïennes à Kinshasa, le fumbwa est devenu le plat préféré des jeunes générations, qui désormais ne montrent aucune révérence particulière pour le matamba, ni pour le nshima. L’unité culturelle de la RDC est donc une réalité vivante.
Elle est le pendant humain de l’unité géographique et de l’intégrité territoriale. Les représentants du Dr Mukwege devraient se donner pour mission d’apporter ce message d’espoir et d’unité à travers tout le pays. Dans le Grand Kasaï en particulier, rééquilibrer les forces et les opportunités pour réhabiliter le Kasaï d’en bas est une urgence régionale et un impératif national. Celui qui trouvera les mots justes et la stratégie adéquate pour convaincre cet électorat sera celui qui gagnera la majorité des votes dans le Grand Kasaï.
La Prospérité / Provinces26rdc.com
Laisser un commentaire