Alors que, la semaine dernière, son épouse, Isabel Dos Santos, avait fait la une des médias du monde entier, c’est au tour de Sindika Dokolo de partager les projecteurs avec sa bien-aimée. Cette fois, il ne s’agit pas pour le couple d’oligarques de s’afficher sur la scène d’une de ses nombreuses soirées luxueuses. Une enquête internationale a mis à nu les pratiques opaques de 400 entreprises au sein desquelles Isabel Dos Santos et Sindika Dokolo possèdent des parts, gérées directement ou par des intermédiaires. Alors que le Congolais, malgré les accusations de l’Etat angolais, semblait un peu en retrait derrière sa femme, les révélations des « Luanda Leaks » le placent, lui aussi, dans l’œil d’un cyclone qui pourrait changer à jamais sa vie. Les voici maintenant unis pour le meilleur et pour le pire…
Si 2020 était, pour Sindika Dokolo, un affrontement de boxe, les évènements de cette semaine pourraient être assimilés à un crochet sorti de nulle part, lors de la première reprise, pour mettre fin au combat. Alors que sa femme, Isabel Dos Santos, avait montré les crocs, la semaine dernière, en agitant la menace de se présenter aux élections présidentielles, le retour de bâton a été terrible.
En effet, le 19 janvier dernier, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a publié une enquête révélant, sur la base d’analyses de centaines de documents confidentiels ayant fuité, les dessous de la gestion de la fortune du couple.
Malheureusement pour le Congolais, les intermédiaires et les sociétés écran n’ont pas suffi. Encore une fois, un Dokolo fera probablement l’amère expérience de la saisie de ses biens par le pouvoir.
Dans le dédale d’intermédiaires, l’organisation, à l’origine de révélations d’envergure telles que les Panama Papers, a réussi à reconstituer une histoire. Celle d’une fortune construite avec le soutien de l’Etat angolais, sans aucun doute, mais aussi, celle de l’inexorable résolution de Sindika Dokolo à ne pas revivre les traumatismes de son enfance, à ne pas finir comme son père. Malheureusement pour le Congolais, les intermédiaires et les sociétés écran n’ont pas suffi. Encore une fois, un Dokolo fera probablement l’amère expérience de la saisie de ses biens par le pouvoir.
SIndika Dokolo, Dr Jekyll et Mr Hyde…
On a du mal à voir chez ce dandy métissé, le génie du mal que décrivent les récents articles de presse publiés sur lui. A son allure racée, sa diction maitrisée, ses costumes de luxe et son sourire de jeune premier, Sindika Dokolo ne donne pas l’impression d’être ce manieur de holdings que présentent les médias. D’ailleurs, dans le monde de l’art où il est très connu pour son combat en faveur du retour sur le continent des œuvres d’arts africaines pillées durant la colonisation, on ne veut pas le voir comme le décrivent les Luanda Leaks.
« Je refuse de hurler avec les loups. Que je sache, Sindika n’a pas été marchand d’armes ou de drogue. Que je sache, il ne gérait pas d’entreprises nationales. Jusqu’à nouvel ordre, ce que je retiens de lui, c’est qu’il a fait avancer l’art contemporain en Afrique et je garde tout mon respect pour son action », assure, dans des propos repris par Le Monde, Simon Njami, ancien conseiller de Sindika Dokolo.
Pour la Franco-Ivoirienne Anna-Alix Koffi, fondatrice de la revue Something We Africans Got, « Sindika Dokolo est sincèrement passionné par l’art, ce n’est pas de l’opportunisme. Vous connaissez beaucoup de monde qui achèterait des œuvres à des centaines de milliers d’euros pour les rendre à leur pays ? C’est un défenseur de l’art africain et, à ce titre, je suis à ses côtés ». Eux ne voient que l’homme affichant l’une des plus grandes collections d’art contemporain en Afrique et engagé auprès des artistes africains. Cette passion pour l’art, inspirée entre autres par ses parents, remonte à sa jeunesse. Et ce n’est que durant les années 2000 qu’il deviendra un véritable croisé de l’art africain. « Il y a en Angola, à Dundo, un musée qui faisait référence en matière de culture tchokwé. Au moment du difficile accès de l’Angola à l’indépendance, il a été pillé, souvent par des Portugais qui travaillaient sur place. Quand j’ai visité ce musée avec le marchand Didier Claes, je n’ai pas vu les quelque trente masques qui devraient s’y trouver. Pourquoi un musée parfaitement réhabilité et sécurisé ne recevrait-il aucun chef-d’œuvre », s’interrogeait Sindika Dokolo lors d’une interview. Il décide alors de se battre pour l’art africain en affichant son autre visage…
« J’ai choisi une méthode assez radicale en disant aux marchands : « J’ai une armée d’avocats, j’ai les moyens financiers de faire de votre vie une misère, je peux vous faire passer pour les ennemis de l’Afrique », et ça a suffi ».
Fini les discours mielleux et intellectuels, place aux coups de pression. « Quitte à être caricaturé en membre de l’élite corrompue africaine, autant utiliser cette carte à bon escient. J’ai choisi une méthode assez radicale en disant aux marchands : « J’ai une armée d’avocats, j’ai les moyens financiers de faire de votre vie une misère, je peux vous faire passer pour les ennemis de l’Afrique », et ça a suffi ». C’est cette partie de la personnalité de Sindika Dokolo qui est mise en avant dans la presse ces derniers jours. Pour la plupart des médias, il est un requin des affaires, ayant participé à piller l’économie angolaise et cachant son patrimoine derrière une myriade de holdings. Si les révélations des Luanda Leaks semblent effectivement confirmer certains de ces traits de caractère, le désir de protéger ses avoirs, chez Sindika Dokolo, remonte à l’enfance, lorsqu’il assiste impuissant au pillage des biens de son père par le dictateur Mobutu.
Au nom du père et du panafricanisme
Sindika Dokolo est né le 16 mars 1972 à Kinshasa, en RDC, alors que le pays portait encore le nom de Zaïre. Sa mère, Hanne Kruse est une danoise arrivée dans le pays pour gérer le dispensaire de la pharmacie pour la Croix Rouge Danoise. Elle a épousé en 1968 Augustin Dokolo, le père et modèle de Sindika.
« Mon père était un homme incroyable, qui a su me servir d’exemple. »
L’homme est loin d’être un inconnu en RDC. Il est souvent cité avec respect par des personnalités importantes du pays, comme l’artiste Manu Dibango qui affirme qu’il a joué un rôle important dans le lancement de sa carrière. La réalisation la plus marquante d’Augustin Dokolo est la création de la Banque de Kinshasa, première banque à capitaux nationaux d’Afrique subsaharienne.
La réalisation la plus marquante d’Augustin Dokolo est la création de la Banque de Kinshasa, première banque à capitaux nationaux d’Afrique subsaharienne.
Fortuné et très apprécié, le père de Sindika Dokolo tombera pourtant en disgrâce, sans aucune raison logique, auprès du président Mobutu. Durant les années 90, le régime en place dépossèdera progressivement Augustin Dokolo de ses biens, craignant sa popularité et sa fortune grandissantes. « Sans autre forme de procès, Mobutu avait déclaré dans une phrase qui demeure célèbre dans ma famille : Prenez tout. Laissez-lui sa voiture et sa maison ». Sindika assiste alors à la descente aux enfers de son père.
« Sans autre forme de procès, Mobutu avait déclaré dans une phrase qui demeure célèbre dans ma famille : Prenez tout. Laissez-lui sa voiture et sa maison ». Sindika assiste alors à la descente aux enfers de son père.
C’est à cette époque qu’il aurait décidé de toujours « se protéger » contre les pouvoirs publics. Elevé entre la Belgique et la France, où il étudie notamment au prestigieux lycée Saint-Louis-de-Gonzague et à l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris-VI), le jeune homme obtient un diplôme en économie et en commerce. De retour à Kinshasa, il devra de nouveau quitter son pays pour fuir la guerre. Il se rend alors en Angola où il rencontre Isabel Dos Santos, en 2002. Le couple va s’enrichir progressivement sous la bienveillance d’Eduardo Dos Santos, alors président de l’Angola. D’après les révélations des Luanda Leaks, sa femme et lui auraient profité des fonds de l’Etat. On les accuse même de les avoir détournés via des sociétés écran et des intermédiaires.
«Je préfère que la richesse du continent revienne à un Noir corrompu plutôt qu’à un Blanc néocolonialiste »,
Pour Sindika Dokolo, rien que le timing de ces révélations suffit à prouver qu’il s’agit d’une cabale politique initiée par le nouveau président angolais Joao Lourenço.
« Si la seule solution est une sorte de népotisme éclairé, ça ne me dérange pas. Le plus important pour moi est de créer une élite africaine pensante, capable de tenir tête aux Occidentaux et d’inverser le rapport de force. »
Pourtant, il y a quelques années, alors que la justice ne s’était pas encore mêlé de ses affaires et n’avait pas gelé ses avoirs, Sindika Dokolo ne semblait pas si inquiet. « Je suis ouvert aux critiques sur la corruption, le népotisme… Si la seule solution est une sorte de népotisme éclairé, ça ne me dérange pas. Le plus important pour moi est de créer une élite africaine pensante, capable de tenir tête aux Occidentaux et d’inverser le rapport de force », répondait-il quand on lui parlait, quelques années plutôt, de l’aide apportée par le gouvernement à ses affaires et à celles de sa femme. «Je préfère que la richesse du continent revienne à un Noir corrompu plutôt qu’à un Blanc néocolonialiste », assumait-il.
Le temps des regrets
Actuellement, c’est un peu plus compliqué. 715 000 documents confidentiels de ses sociétés viennent éclairer des accusations datant de plusieurs mois. Par exemple, dans la joint-venture avec la société diamantifère d’Etat, Sodiam, pour le rachat du joailler De Grisogono, seul Sindika Dokolo aurait bénéficié de l’affaire alors qu’il aurait beaucoup moins investi que la Sodiam. « La Sodiam a plus investi dans la plate-forme de vente et moi dans la plate-forme d’achat. C’était la première transaction internationale de la Sodiam. Les banques ou les régulateurs auraient pu refuser ».
Aujourd’hui, il se défend comme il peut. Il a commencé par jeter du discrédit sur les Luanda Leaks qui auraient utilisé des documents obtenus par un hacker, tandis que certaines des choses dont on l’accuse ne seraient pas illégales en Angola. A cela, s’ajoute le sempiternel argument de l’agenda politique. « C’est une chasse aux sorcières purement politique. Je suis comme un mouton dans le couloir de l’abattoir », a affirmé Sindika Dokolo à RFI.
Au final, comme sa femme, Sindika Dokolo semble plus que jamais au bord du précipice. Leurs avoirs sont gelés en Angola, des enquêtes sont ouvertes au Portugal et à Monaco. Mais qu’importe, quelle que soit l’issue des évènements, le couple partagera le même sort, comme toujours, pour le meilleur et pour le pire.
Agence Ecofin /provinces26rdc.net
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